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221 L'inexcusable tort d'avoir trop tôt raison. Au nombre de ceux-ci furent Estienne Dolet, natif d'Orléans , imprimeur-libraire à Lyon, poète et savant distingué. Sa mé- moire mérite la popularité tardive que nous désirerions lui don- ner aujourd'hui; c'est l'un des plus intéressans martyrs de la science. Des discussions à l'occasion de je ne sais quels passages de Cicéron lui avaient attiré de nombreux et puissans ennemis. Ils parvinrent à faire porter contre lui, en octobre 1543 , l'accusa- tion banale d'hérésie, et, après quinze mois de cachot, il fut condamné à être brûlé vif. Il allait subir sa peine, lorsque Pierre Châtel, évêque de Tulle, la main sur l'Evangile, dont lui du moins était le digne ministre, récita la parabole de la brebis égarée, et le sauva. Echappé au bûcher, Dolet renonce aux disputes et aux argu- ties scholastiques dont il avait reconnu le vide; mais, poussé par la sublime imprudence d'une ame passionnée pour le bien, il entreprend, en présence de ses ennemis et de l'inquisition qui veillent, de faire connaître les bons auteurs à tous les Fran- çais par des traductions en langue vulgaire. Il commence par celle de deux dialogues de Platon , l'Axiochus et VHipparchus, et la dédie à ceulx de sa nation, qu'il appelle en ces termes à la science : C'est assés vescu en ténèbres! Acquérir fault l'intelligence Des bons autheurs, les plus célèbres Qui soyent en tout art et science. Dolet savait les dangers qu'il courait en voulant éclairer les hommes et jetant ce cri : « c'est assés vescu en ténèbres! » dans ces temps d'aveugle fanatisme, où les traductions des livres saints, notamment celles de la Bible et des Psaumes de David, étaient prohibés, où l'on trouvait des hérésies dans les livres les plus étrangers au dogme; dans ces temps où quelques hommes possédaient à la vérité une vaste érudition, plus rare peut-être de nos jours qu'alors, mais où presque tous étaient plongés dans