CONTE DE CETTE SEMAINE

II — Une Dame qui s'assied sur son Coeur

Qui ne connaît pas Mlle Adèle, l'aimable bijoutière ? Quant à moi, il m'arriverait facilement de mettre toute ma fortune en bagues, chaînes, voire même bracelets, pour le seul plaisir de causer avec cette spirituelle enfant. Il y a huit jours, je me dirigeais chez elle afin de choisir je ne savais trop quel bijou. Elle sourit à mon entrée, et une jeune femme, richement mise, debout près d'elle, m'acueillit par un léger signe de tête. — Rien qu'un petit moment, n'est- ce pas, Madame, lui demanda Mlle Adèle et je suis à vous? —Allons! attendons! répliqua l'inconnue résignée, en se laissant tomber sur. un siège.

Mais que vis-je aussitôt ? la dame se lever d'un seul bond en criant avec épouvante : — Ah ! mon Dieu ! je m'assieds sur mon coeur ! Elle serrait convulsivement avec ses deux mains le derrière de sa robe. Je la regardais bien en face, elle parlait sérieusement, la figure contractée. Adèle l'examinait avec effroi comme on regarde quelqu'un qu'on voit horriblement souffrir. Que je souhaitais d'être docteur ! J'aurais su peut-être par quelle incroyable maladie cette belle jeune femme était torturée. Cependant d'un ton d'espoir : — Heureusement les pierres ne se cassent pas ! fit elle. Et la gracieuse enfant de répondre avec un spirituel à-propos : — Les perles non plus, Madame ! Ma stupéfaction devint une si étrange envie de rire que, de peur d'éclater, je pris le parti de me sauver. Mlle Adèle vit fuir son client sans objection aucune. Il faut l'avouer à ma honte, je laissai la porte entr'ouverte pour entendre et collai mes yeux aux vitrés de la devanture. Personne n'y prit garde. -- Ya-t-il bien du mal à votre coeur ? demanda Adèle avec une fiévreuse précipitation. — Je ne sais qu'une chose, c'est que je me suis assise dessus, murmura l'étrangère en pâlissant ; je n'ose même pas m'assurer de son état. — Bah ! courage! je vais vous aider. Et Adèle s'agenouilla près d'elle, et je vis quatre mains fouiller

dans les satins et les rubans du pouf de l'étrange malade.

Nous n'en viendrons pas à bout, disait la jeune fille avec inquiétude. Si ! si ! j'y suis, je le touche, je le tiens ! Et de ces profondeurs incalculables et calculées dont la couturière contemporaine a le secret, cette dame de coeur ramena une chose toute noire (sans pouvoir bien la distinguer, j'en eus une horreur instinctive), puis reprit : - Drôle d'idée de placer là nos poches maintenant ! Elle sépara presqu'en deux l'objet couleur de suie. — Victoire ! il est intact ! s'écria-t elle. — Dieu soit loué! exclama Adèle. Alors je pus voir la main de l'élégante élever et balancer avec un ravissement sans pareil — au-dessus d'un écrin ébène — un superbe coeur.., de perles et de pierreries.

Aymé DELYON.

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Contenu textuel de l'image : Qui ne connaît pas Mlle Adèle, l'aimable bijoutière ? Quant à moi, il m'arriverait facilement de mettre toute ma fortune en bagues, chaînes, voire même bracelets, pour le seul plaisir de causer avec cette spirituelle enfant. Il y a huit jours, je me dirigeais chez elle afin de choisir je ne savais trop quel bijou. Elle sourit à mon entrée, et une jeune femme, richement mise, debout près d'elle, m'acueillit par un léger signe de tête. — Rien qu'un petit moment, n'est- ce pas, Madame, lui demanda Mlle Adèle et je suis à vous? —Allons! attendons! répliqua l'inconnue résignée, en se laissant tomber sur. un siège.
Contenu textuel de l'image : Mais que vis-je aussitôt ? la dame se lever d'un seul bond en criant avec épouvante : — Ah ! mon Dieu ! je m'assieds sur mon coeur ! Elle serrait convulsivement avec ses deux mains le derrière de sa robe. Je la regardais bien en face, elle parlait sérieusement, la figure contractée. Adèle l'examinait avec effroi comme on regarde quelqu'un qu'on voit horriblement souffrir. Que je souhaitais d'être docteur ! J'aurais su peut-être par quelle incroyable maladie cette belle jeune femme était torturée. Cependant d'un ton d'espoir : — Heureusement les pierres ne se cassent pas ! fit elle. Et la gracieuse enfant de répondre avec un spirituel à-propos : — Les perles non plus, Madame ! Ma stupéfaction devint une si étrange envie de rire que, de peur d'éclater, je pris le parti de me sauver. Mlle Adèle vit fuir son client sans objection aucune. Il faut l'avouer à ma honte, je laissai la porte entr'ouverte pour entendre et collai mes yeux aux vitrés de la devanture. Personne n'y prit garde. -- Ya-t-il bien du mal à votre coeur ? demanda Adèle avec une fiévreuse précipitation. — Je ne sais qu'une chose, c'est que je me suis assise dessus, murmura l'étrangère en pâlissant ; je n'ose même pas m'assurer de son état. — Bah ! courage! je vais vous aider. Et Adèle s'agenouilla près d'elle, et je vis quatre mains fouiller
Contenu textuel de l'image : dans les satins et les rubans du pouf de l'étrange malade.
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