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    LYON ET LE LYONNAIS

    Nous extrayons du Journal des Débats, l'intéressante étude que voici : Sur la proposition de son éminent président, M. J. Cambefort, la Société de géographie a eu la bonne inspiration de confier aux plus compétents de ses membres le soin d'écrire une série d'études spéciales dont l'ensemble forme l'étude la plus complète qui ait jamais été consacrée à la région lyonnaise.

    Mais les promoteurs de cette vaste enquête ne se sont pas bornés à dresser le bilan matériel de leur ville ; ils ont compris que, pour être complets, ils devaient donner un aperçu de la physionomie morale des habitants.

    Ce n'était pas une tâche aisée : malheureusement pour eux, déjà la voie était ouverte. Dans son étude magistrale : Lyon en 1889, M. Ed. Aynard avait tracé de main de maître le portrait du Lyonnais de Lyon.

    « Le Lyonnais, écrit M. Ed. Aynard, semble une race du Nord égarée dans le Sud, race de travailleurs pensifs qui, tout en portant haut ses regards, s'entend à exploiter la terre.

    «Le Lyonnais s'agite dans les contraires, c'est pourquoi il est énigmatique. Tout se heurte en lui. Il est actif et contemplatif; c'est un mystique intermittent, secoué par le rude travail ; il est mélancolique et crée Guignol, ce maître railleur plus profond que Polichinelle ; envieux et compatissant, prenant autant de soin d'empêcher ses semblables de mourir que de grandir, très intéressé et probe, de coeur chaud et d'aspect froid ; aspirant très haut, osant parfois beaucoup, et se résignant facilement à la médiocrité obscure, le Lyonnais entrevoit, rêve de grandes choses, se met en marche pour les atteindre et s'arrête. C'est un inachevé.

    « Rien ne se complète ici, ni les monuments ni les idées. C'est la cité du rêve et du réel, du chrétien austère, du visionnaire et du sectaire, de la folie soudaine et de la raison coutumière. C'est Lyon qui a créé la Propagation de la Foi et couvert le monde de missionnaires ; l'esprit contraire s'y révèle en ce que notre démocratie, raisonnable à tant d'égards, ne devient aveugle que lorsqu'il! s'agit de questions religieuses.

    L'économie, tel est le secret de la prospérité lyonnaise. Nulle part on ne travaille autant qu'à Lyon et nulle part on n'économise autant. C'est ce qui explique que la place commerciale lyonnaise est la plus solide du monde. Ainsi la fabrique lyonnaise traverse depuis deux ans une crise sans exemple, et cependant pas une des maisons de soieries n'a failli à ses engagements, pas un fabricant n'a déposé son bilan. Pourquoi ? Parce que le négociant lyonnais de vieille roche ramasse âprement pendant les périodes prospères et que, pendant les périodes dé crises, il vit sur ses réserves. On dit que la place de Lyon a perdu près de l5o millions dans ces dernières années ; mais son crédit est resté intact. On s'est saigné aux quatre veines, mais on a faitface aux échéances. Vienne une période prospère, un de ces coups de fortune comme les annales lyonnaises eh font mention, rien ne sera changé à l'extérieur. Le fabricant ne modifiera pas son train de vie, au contraire : plus; il gagnera d'argent, plus il économisera: en vue des mauvais jours. Tout au plus augmentera-t-il le budget de la charité.

    A Lyon, en effet, on fait la part du pauvre et on la fait large. On cite bon nombre de grands industriels ou commerçants qui tous les arts prélèvent 10 % , 15 % et même 20% sur leurs bénéfices au profit des oeuvres de bienfaisance. Mais si le négociant lyonnais n'aime pas à faire parade de sa richesse, et s'il ne se soucie pas d'étaler ses bénéfices, il tient encore plus à ce que sa main gauche ignore ce que donne sa main droite. Il a une façon discrète de faire la charité qui n'appartient qu'à lui. En dehors du colossal budget des hôpitaux lyonnais qu'alimente seule la générosité publique, ce que la région renferme d'hospices privés, d'oeuvres philanthropiques de toute nature, d'orphelinats, de crèches, etc. est inconcevable. On voit les oeuvres naître et grandir, on assiste à leur épanouissement bienfaisant, mais on ignore le nom de ceux qui les font vivre.

    On peut aimer ou ne pas aimer le caractère lyonnais et ne pas se faire illusion sur ses travers, mais au moins, on doit reconnaître qu'il n'est pas banal.

    On l'a vu en 1882, au moment des folies de l'Union générale. Pendant quelques semaines toutes les classes de la population ont été prises de vertige. On jouait sur les valeurs à la Bourse, dans les cercles, dans les cafés, sur les places, au coin des rues. Les conducteurs de tramways faisaient arrêter leur véhicule pour prendre les cours et les annoncer aux voyageurs. Les valeurs les plus invraisemblables atteignaient des cours fabuleux et retombaient à zéro en l'espace de vingt-quatre heures. Lyon n'était qu'une vaste rue Quincampoix au temps de Law. Qui n'a pas vu Lyon à ce moment, n'a rien vu. L'accès passa comme il était venu. Sauf clans le monde de la Bourse, il n'y eut pas de catastrophes retentissantes, mais ce qu'il a fallu de temps, de travail acharné et de privations pour réparer le mal causé par ce coup de folie Dieu seul le sait. Et le plus joli c'est que jamais on ne fera avouer à un Lyonnais qu'il a pris une part, même si minime soit-elle, à cette débauche de spéculation.

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