Sommaire :

    Les industries lyonnaise

    Le Vêtement ancien et moderne.

    Lorsqu'Adam fut chassé du Paradis terrestre, il s'aperçut trop tard qu'il n'avait pas un complet pour cacher sa nudité.

    Il aurait été certainement enchanté de rencontrer sur son chemin une succursale de la Belle Jardinière.

    Le premier sans-culotte du genre humain avait innové sans s'en douter la première mode de vêtement qui ait passé à la postérité, sous la désignalion de costume d'Adam, que nos maisons de confection ne prendront jamais pour enseigne.

    Il serait trop long de faire l'historique du vêtement, ses transformations, ses modifications dans la coupe, en un mot la description de toutes les modes qui ont succédé au costume économique de nos premiers parents.

    Malgré tous les volumes qui ont été consacrés par nombre de savants, à l'histoire du costume dans les nations civilisées, et que j'ai dû parcourir pour constituer les premiers jalons de cette revue d'une industrie toute moderne, je crois plus agréable à mes lecteurs de laisser aller l'imagination de notre dessinateur et arriver à la confection actuelle, qui cache dans l'élégance de la coupe, aux yeux indiscrets, les défauts trop apparents du corps humain.

    Il est certain que nos ancêtres n'ont eu, pendant de longues années, que des peaux d'animaux pour couvrir leur nudité. Grands chasseurs devant l'Eternel, ils trouvaient à la fois leur nourriture et leurs habits.

    Le hasard, qui est le grand maître des inventions et des découvertes les plus inattendues, a dû mettre sous la main des premiers hommes la matière première de tous les textiles ; les exigences d'une certaine pudeur et les besoins de se garantir de l'intempérie des saisons ont ouvert l'intelligence industrieuse de nos ancêtres.

    Le premier individu qui avait tourné machinalement dans ses doigts quelques grains de farine a trouvé le fil et, s'amusant peut-être à en croiser plusieurs ensemble, il a dû s'ingénier pour former le premier tissu.

    Il est probable que toutes les intéressantes découvertes sont restées très longtemps dans l'enfance et que le progrès dans le tissage et la confection sommaire des vêtements a été très long à se développer.

    L'industrie et la mécanique n'ont pris que dans notre ère l'importance que l'histoire moderne constate, et leur développement n'a pas encore dit son dernier mot.

    On a pu se rendre compte de ce que fut pendant de longs siècles l'industrie du tissage, en visitant les exhibitions exotiques installées dans nos diverses expositions internationales.

    La fabrication des tissus était fort longue et le travail manuel suppléait aux métiers à tisser pour orner les vêtements de toutes les enjolivures que nous devons actuellement à la mécanique.

    Il était donc impossible que, vu la diversité des broderies et les changements incessants du costume, les tailleurs se livrassent à la confection et remplissent leurs échoppes d'un stock qui n'aurait jamais pu avoir l'écoulement actuel.

    La Révolution de 1789, en unifiant les classes des citoyens et en démocratisant le costume, a donné le premier essort à l'industrie du vêtement confectionné, qui a pris un tel développement qu'elle compte aujourd'hui parmi nos richesses nationales.

    Mais ce commerce, qui fait vivre un si grand nombre de travailleurs et qui, par ses ramifications, alimente encore d'autres industries adjacentes, doit surtout son essor, son développement et son importance à deux causes, à des procédés mécaniques de cousage et de tissage, véritable révolution d'où est sorti le vêtement confectionné.

    La machine à coudre et le tissage mécanique sont venus à propos centupler la production et, malgré la lutte aiguë que soulèvent les récriminations contre tout ce qui dérive d'autres moyens que du travail manuel, il ne faut pas croire que la lutte pour l'existence n'a pas été améliorée par l'emploi de ces deux producteurs économiques.

    Comme je n'ai pas l'intention de traiter cette question, qui touche à des points fort graves et sujets à des controverses pénibles, je préfère m'en tenir à mon rôle de chroniqueur et examiner le facteur pacifique que joue dans le vêtement confectionné l'emploi de la machine à coudre, et le résultat que donne le tissage mécanique.

    J'ai pénétré dans les vastes magasins et ateliers de la Belle Jardinière, avec l'autorisation de ses propriétaires, et c'est la description de cette ruche industrieuse que je vais faire à mes lecteurs ne se doutant pas de toutes les mains-d'oeuvre par où sont passé les vêtements qu'ils portent et qui leur vont si bien.

    Quand j'ai vu devant moi toute une compagnie de coupeurs armés de formidables ciseaux et taillant en plein drap, sans trêve ni merci, j'ai été émerveillé de leur habileté à découper toutes les figures les plus variées de la géométrie; des losanges, des quadrilatères, des triangles plus ou moins réguliers, des circonférences avec leur arc de cercle. Puis tout à coup cet amalgame, ce mélange de morceaux découpés, de doublures déchiquetées, tous assemblés, unis, faufilés, essayés, un vêtement complet, de la dernière mode et de la supreme élégance, est sorti des mains d'artistes en confection.

    Ce n'est pas un seul, mais des centaines par jour qui viennent remplir de vastes rayons, pour être offerts aux acheteurs et convenir à tous les goûts, à toutes les tailles et à toutes les exigences de la tournure et de la démarche.

    Il faut une organisation complète comme celle de la maison de la Belle Jardinière pour répondre aussi rapidement, surtout avec tant d'économie, aux desiderata de sa clientèle, trouver des modèles nouveaux et, sans atteindre l'extravagance dans la coupe, obtenir des excentricités acceptables.

    La Belle Jardinière a des maisons d'achat dans toutes les villes où la fabrication des étoiles pour vêlements atteint la perfection dans le tissage et dans le choix des nuances.

    Quand les pièces de draps, de doublures et tous les accessoires qui entrent dans la confection d'un vêtement quelconque ont passé par les mains des coupeurs, des ouvriers, des finisseurs, on est en droit de se demander comment on peut établir des prix aussi avantageux que ceux que nous avons vus étiquetés sur les marchandises étalées devant nos yeux. Nous ne rechercherons pas dans le prix de revient le problème de cette économie industrielle, mais il nous a été facile de reconnaître que la main-d'oeuvre constitue une rémunération importante laissée entre les mains des ouvriers et ouvrières.

    Ce sera toujours le côté intéressant que nous recherchons dans nos industries lyonnaises.

    Nous sommes heureux et fiers, comme Lyonnais, de constater le progrès de chacune, l'importance commerciale que prennent nos usines et nos ateliers, mais le point essentiel pour nous, c'est le sort des nombreux collaborateurs que les industriels s'attachent pour mener à bonne fin leur entreprise.

    L'existence difficile de la masse des travailleurs, leur lutte perpétuelle pour la vie matérielle sont des incidents quotidiens, sur lesquels beaucoup de patrons jettent un regard indifférent et une inattention égoïste ; cependant une évolution salutaire commence à se produire, et nous ne serions pas surpris qu'en devenant générale elle apaise beaucoup de dissentiments entre patrons et ouvriers et calme les revendications de salaires qui amènent les grèves.

    A la Belle Jardinière, tout le monde vit largement de son travail ; c'est à la grande harmonie qui règne dans le personnel à toute l'échelle de la hiérarchie que les grandes maisons industrielles doivent toujours leurs succès et leur extension.

    L'industrie du vêtement confectionné est appelèe encore à un plus grand développement.

    Sans avoir à chercher de nouveaux débouchés, la Belle Jardinière voit arriver dans toutes ses succursales une population cosmopolite, attirée par sa réputation et l'excellence de ses confections. Les costumes barbares, les modes nationales sont appelés à disparaître, grace à l'extension du vêtement moderne et surtout du bon goût français. C'est donc sur ce point que doit se porter toute l'attention de nos confectionneurs.

    Nous n'avons pas à redouter dans le développement de cette tranche d'industrie l'indifférence des propriétaires de la Belle Jardinière. A une maison d'une telle importance commerciale et industrielle, malgré le placement régulier de ses produits, appartient l'honneur de faire connaître partout l'élégance des vêtements confectionnés et la réputation universelle de l'industrie française.

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