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    Le Télégraphe sans Fils

    Une révolution dans la télégraphie [note]Extrait de la Revue des Revues, 1er avril 1897.

    (suite et fin) J'ai réussi à expédier un télégramme aérien à un mille et trois quarts. Nous avons bien obtenu des résultats à deux milles, mais ils n'étaient pas absolument satisfaisants. Nous employions une batterie de trois ampères à huit volts, quatre accumulateurs dans une boite. Vous serviez-vous d'un réflecteur? Oui, d'un réflecteur en cuivre, grossièrement fait. C'était un réflecteur paraboliquo avec une erreur de 2 centimètres et demi dans la courbe. Mais je ne m'en embarrasserai plus; cela ne sert à rien. Ni de lentilles? Non plus! Les ondulations dont je parle ne sont sujettes ni à réflexion ni à réfraction. J'ai vérifié ce fait. Avec la même batterie, le même transmetteur et le même récepteur, nous avons émis et reçu les ondulations, à l'administration centrale des Postes, à travers sept ou huit murs et à une distance de cent mètres. Je ne connais pas exactement l'épaisseur des murs, mais vous avez vu le bâtiment : il est solidement construit. Pensez-vous que, de cette chambre, vous pourriez envoyer une dépêche à travers Londres au bureau des Postes? Avec des instruments de dimension et de puissance convenables, je n'en ai pas le moindre doute! A travers toutes les maisons? Parfaitement!

    Les deux interlocuteurs se trouvaient à ce moment dans une maison de Talbot Road, Westbourne Park, à quatre milles et demi du bureau central des Postes.

    A quelle distance croyez-vous qu'on puisse, de cette façon, expédier une dépêche? A vingt milles. Du reste, la distance dépend simplement de la somme d'énergie excitante et des dimensions des deux conducteurs dont émane l'ondulation. Quelle est la loi de l'intensité à une distance donnée? La même que celle de la lumière : inverse au carré de la distance. Co qui signifie que, quelle que soit l'énergie créatrice de l'ondulation, la puissance de cette ondulation à vingt mètres, comparée avec cette même puissance à dix mètres, est dans la proportion de 10X10 à 20X20 ou un quart, dans ce cas particulier. Croyez-vous que ces ondulations puissent être employées pour les phares électriques, quand le brouillard empêche le passage de la lumière? Je pense que c'est ainsi que les phares seront un jour utilisés. Une source constante d'ondulations électriques, au lieu d'une source constante d'ondulations lumineuses, et un récepteur placé à bord du navire indiquera la distance du phare en même temps que sa direction! Mais le brouillard ou le métal n'intercepteront-ils pas le passage des ondulations? En aucune façon. Je crois même qu'elles traverseront un cuirassé. En ce moment, nous travaillons, M. Preece et moi, à établir une communication régulière, à travers l'air, du rivage à un bateau-feu. C'est là le premier usage que nous entendons faire de mon appareil : communiquer avec les bateaux-feux, à n'importe quelle distance de la côte, depuis un mille et demi jusqu'à vingt milles et plus. Ces ondulations ne pourraient-elles pas servir à empocher les collisions des navires en temps de brouillard? Je crois qu'on les utilisera dans ce but. Les navires peuvent être munis d'appareils qui signaleront leurs positions réciproques, à telle distance qu'on voudra. Dès que deux navires se rapprocheront, les cloches d'alarme sonneront à bord de ces navires : une aiguille marquera leur direction. Limitez-vous la distance à laquelle ces ondulations peuvent être envoyées? En aucune façon. Nous ne connaissons cette distance que quand elles sont incitées par une faible somme d'énergie. Mais vous ne pourriez, par exemple, envoyer une dépêche d'ici à New-York? Je n'en sais rien. Seulement, c'est là un champ tout à fait nouveau, et la discussion des possibilités, qu'on pourrait appeler ici des probabilités, néglige des difficultés qui pourront se présenter lors de la réalisation pratique. Mais il ne paraît pas exister d'impossibilités aujourd'hui visibles. Quelles dimensions devrait donc avoir la station qui enverrait un télégramme d'ici à New-York. Environ les dimensions de cette pièce, vingt pieds carrés, et je crois qu'une puissance de cinquante à soixante chevaux serait suffisante. Le coût des deux stations complètes n'atteindrait pas 10.000 livres sterling (250.000 francs). Les ondulations se propageraient-elles à travers l'air ou à travers la terre? Je ne puis le dire avec certitude. Je crois seulement qu'elles franchiraient cette distance avec efficacité. Mais, puisque vous n'employez ni lentilles, ni réflecteurs, les ondulations s'éparpilleraient dans toutes les directions et atteindraient tous les lieux placés à la même distance que New-York? Evidemment. Quelles autres applications prévoyez-vous à votre invention? La première doit être de remplacer, pour les besoins militaires, le télégraphe de campagne actuel. Il n'y a aucune raison pour qu'un commandant en chef ne puisse communiquer facilement avec ses subordonnés, et cela sans fils, jusqu'à une distance de vingt milles. Si mes compatriotes avaient possédé mes instruments à Massaouah, les renforts auraient pu être appelés en temps utile. Les appareils seront-ils volumineux? En aucune façon. Un transmetteur et un récepteur suffiront. Mais alors un amiral pourrait aisément communiquer de la même manière avec les navires de la flotte? Oui, mais... Mais? Je ne sais pas encore s'il y aura une difficulté, mais il me semble qu'il y en aura une. Vous rappelez-vous l'expérience de Hertz pour déterminer l'explosion de la poudre à canon au moyen des ondulations électriques? Je pourrais de même faire éclater une boîte de poudre placée dans la maison en face, de l'autre côté de la rue, si je pouvais y mettre deux fils ou deux plaques à travers lesquelles se produirait l'étincelle qui causerait l'explosion. Il suffirait donc qu'il y eut, dans la Sainte-Barbe d'un cuirassé, deux plaques de métal ou deux clous et la Sainte-Barbe sauterait. Alors, les phares, dont nous parlions tout à l'heure, pourraient faire éclater la soute aux poudres des navires d'aussi loin que leur lumière peut en ce moment être aperçue! Cela est certainement possible. Cela dépendrait de la puissance de l'énergie excitante. Dans ce cas, la difficulté d'employer votre appareil pour la marine... Cette difficulté, c'est la crainte que les ondulations ne fassent faire explosion au magasin du navire lui-même.

    La conversation de M. J. Dam avec le jeune savant prend fin sur ces mots. Mais nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer quelles stupéfiantes conséquences on peut tirer de pareilles prémisses. Ce n'est plus seulement d'une révolution dans la télégraphie, qu'il s'agit. C'est d'une révolution dans la guerre navale, révolution qui pourrait bien aboutir à une complète suppression. Déjà, les ingénieurs de la marine royale anglaise ont commencé à examiner l'invention de M. Marconi et à l'envisager dans ses conséquences. De toutes les défenses côtières auxquelles on a pu songer, aucune ne serait si abominablement efficace que cette explosion des navires de guerre au moyen des ondulations électriques. Certes, la chose paraît tenir du miracle; mais, avec la science en général et celle de l'électricité en particulier, les miracles deviennent chaque jour la chose la plus banale et la plus commune qui se puisse voir.

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