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    Le Télégraphe sans Fils

    Une révolution dans la télégraphie [note]Extrait de la Revue des Revues, 1er avril 1897.

    Chaque jour, on peut le dire, l'électricité nous apporte de nouvelles surprises, et ses découvertes se multiplient avec une telle fécondité que l'utopie d'hier devient la banalité de demain. Depuis que Roentgen a publié le récit de ses expériences sur les rayons qui ont gardé son nom, les inventeurs se sont attaqués à la transmission des ondes électriques à travers les milieux résistants, si bien qu'on pouvait, il y a déjà plusieurs mois, prévoir le moment ou l'on se passerait facilement des fils conducteurs dans les transmissions télégraphiques. Je doute cependant que les plus audacieux aient jamais rêvé de conséquences aussi merveilleuses que celles en face desquelles nous nous trouvons aujourd'hui.

    Deux hommes, d'origine et de caractère complètement différents, viennent d'arriver simultanément à des résultats identiques. L'un est un Hindou élevé et instruit en Angleterre, le Dr Jagadis Chunder Bose ; l'autre est un jeune Italien de vingt-deux ans, Guglielmo Marconi, né à Bologne en avril 1875. Leur découverte nous est exposée dans les magazines Mac Clur's et Strand de Mars, par un savant vulgarisateur dont nos lecteurs n'ont certainement pas oublié les travaux antérieurs, M. J.-W. Dam.

    Avant d'en venir a l'invention nouvelle en elle-même, quelques explications préliminaires sont indispensables. On sait que, sous le nom d'éther, on désigne cette substance infiniment ténue auprès de laquelle notre air atmosphérique semblerait plus lourd que le plomb, et qui remplit les espaces interplanétaires. Invisible, incolore, inodore et impondérable, l'éther n'existe, il faut bien le dire, qu'en vertu d'une hypothèse cosmique. On l'a inventé pour expliquer la transmission de la lumière à travers l'infini; transmission qui demeurerait inexplicable si une substance quelconque ne servait de véhicule aux ondulations lumineuses. Déjà au temps dePlaton, on avait reconnu la nécessité de son existence. Newton et Descartes l'ont admise et les savants modernes ont suivi sur ce point l'exemple de leurs devanciers.

    Essayons d'expliquer, le plus simplement et le plus clairement possible, quel est le rôle joué par l'éther; et pour cela, supposons que l'ensemble de l'univers, en y comprenant les étoiles les plus éloignées, celles qui brillent aux extrêmes limites du champ de pénétration de nos plus puissants télescopes, est formé d'une substance solide de gelée incolore et transparente, semblable à ces gelées qui enveloppent les galantines de nos charcutiers. Les mondes sont donc tous complètement baignés dans cette substance, qui les pénètre de telle façon que chacun des atomes qui les composent est baigné, lui aussi. Il va sans dire que la substance ne comporte aucune solution de continuité. Par conséquent, un choc donné dans une quelconque de ses parties, sera répercuté dans la masse tout entière. Les mondes qui y sont contenus ne bougent pas, mais la substance dont ils sont pénétrés transmettra la secousse à travers eux, aussi facilement qu'à travers la masse elle-même. Cette substance est en effet si ténue qu'elle traverse et pénètre tout, le verre, la pierre, le métal, le bois, la chair, l'eau, etc., etc. C'est ainsi que les rayons Roentgen peuvent traverser des corps opaques; c'est ainsi également que la lumière et l'électricité, en excitant des ondulations dans la masse de l'éther, voyagent a travers les espaces. L'ondulation lumineuse passe à travers le verre, c'est-à-dire Hu'elle se communique aux molécules d'éther qui remplissent le verre lui-même. L'éther transmettra donc les rayons lumineux à travers certaines substances, mais il ne pourra pas faire traverser ces mêmes substances aux rayons Roentgen. Ces derniers circulent dans des corps qui arrêtent la lumière. Les rayons électriques à petites vibrations diffèrent, à ce point de vue, des rayons lumineux et des rayons Roentgen. Ceux, au contraire, qui sont à larges oscillations, différent à leur tour des premiers. Il est enfin d'autres classes de rayons ou d'ondulations encore à découvrir, qui ont des propriétés différentes, c'est-à-dire qui sont traités différemment par l'éther.

    On a calculé la densité de l'éther d'après l'énergie avec laquelle la lumière du soleil frappe la terre : elle est moindre que toute quantité imaginable, de même que sa rigidité. Néanmoins, on considère que l'éther est une substance parfaitement existante, et l'on déclare même qu'il est incompressible, car sans cela il ne pourrait transmettre les ondulations. Il va sans dire que l'éther, enfermé dans des corps solides, transmet beaucoup moins librement les ondulations que l'éther de l'air. Ainsi le verre seul transmet les rayons lumineux à une vitesse d'environ 1.000 mètres par seconde. L'éther dans le verre les transmet 40.000 fois plus vite, soit à 160.000 mètres par seconde et l'éther de l'air à 260.000 mètres par seconde. La raison de cette différence dans la rapidité de transmission est encore un mystère : mais, aujourd'hui, les mystères n'ont pas la vie longue.

    Les ondulations électriques ont été découvertes on 1842 par un Américain, Joseph Henry, de Washington. Cette découverte, qui a eu pour conséquence immédiate celle des phénomènes d'induction, a été exploitée par Edison pour télégraphier à un train en marche. Dans ce cas, le courant électrique sautait, littéralement, des fils qui bordaient la voie, au récepteur placé dans le train. Hertz, le savant allemand, à poursuivi l'étude de ces ondulations et annoncé le premier qu'elles pouvaient traverser le bois et la brique, mais non le métal. C'est au jeune Italien Guglielmo Marconi, dont nous parlions plus haut, que revient l'honneur d'avoir élargi la conception des ondulations électriques et imaginé les instruments propres à atteindre ce but. L'histoire du jeune Marconi a toutes les allures d'un conte de fées et serait peut-être tenue pour telle si quatre graves commissions, représentant l'Armée, la Marine, les Postes et Télégraphes et la Direction des Phares de l'Angleterre, ne se tenaient là pour en affirmer l'authenticité parfaite.

    (A suivre...)
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