Elle est souvent une dame, mais son sort n'en est que plus intéressant et plus pénible. Car il n'a de relativement brillant que la tenue et encore je parle des vendeuses, car il ne faudrait pas regarder de trop près au sarreau d'uniforme de la débitrice-, numéroté comme pour faire de celle qui le porte plus manifestement une machine sans personnalité.

La demoiselle de magasin dont je parle est celle des « grands magasins » de Paris comme aussi de ceux de province à l'instar. Dans le tohu-bohu de l'immense hall, à l'heure du coup de feu de l'après-midi, on entend bruyant, on voit papillotant, tout s'anime, les gestes, les yeux, les visages. Les yeux de la demoiselle de magasin, vendeuse ou débitrice, brillent aussi, mais de fièvre, ses gestes restent gracieux, empressés, elle se contraint à garder le sourire sur les lèvres, mais le rose de la vie ne paraît jamais à ses joues. Surprenez-là dans une minute fugitive de repos, où elle se croit hors du regard, le masque d'animation tombe, les traits se contractent comme au naturel, elle ploie sur ses genoux, s'affaisse comme si elle allait s'asseoir, elle en aurait tant besoin ! Mais s'avance une cliente, l'a triste statue de l'anémie qu'elle était se redresse, souriante.

A part l'intervalle du repas, pris généralement dans le réfectoire, sous les combles du caravansérail, elle reste debout

les dix heures de sa journée Et la loi? Ah! la loi; il-y a des cha' en évidence, seulement elles ne sont n S là pour s'asseoir, elles sont là pour 1 loi et pour l'inspecteur ou l'inspectrice du travail si, par hasard, ils se présentaient à l'improviste, mais il n'en survient jamais.

Dans les enquêtes discrètes auxquelles je me livre -sur le travail des femmes, j'ai reçu des confidences bien douloureuses, mais il n'en est pas de plus plaintives, en quelque sorte, que celles des malheureuses vouées au travail dans les grands magasins. J'en ai retenu une particulièrement cruelle. Une débitrice débutante est debout près d'une chaise ; c'est un court moment d'accalmie, elle voudrait bien s'asseoir mais elle n'ose, les camarades lui ont tant dit que tout en étant permis c'était défendu ! Passe près d'elle, un des directeurs, donnant partout son coup d'oeil sournois du maître :

Mon expérience bien désillusionnée m'a amené à penser que les manifestations de bienveillance, de générosité, de philanthropie, d'ailleurs souvent. affichées, des administrateurs des grands magasins ressemblaient, pour la plupart, à celle de la chaise. Que voulezvous, ils ont la réclame dans le sang, ces gens-là !

La cliente est aussi souvent le bourreau de la demoiselle de magasin, j'entends la cliente d'éducation inférieure qui a, avec qui elle paye, l'insolence de la parvenue. On en voit d'une incroyable exigence, abuser à outrance de la résignation sans borne imposée comme une règle impitoyable de la maison pour attirer la clientèle et la retenir. La belle madame, confortablement installée, le face-à-mains sur le nez fait bouleverser tout un rayon de marchandises lourdes, -des pièces d'étoffe, pour s en aller ensuite ayant arrêté son choix a vingt sous de ruban. Elle n'a pas, declare-t-elle, trouvé son affaire et c'est avec le plus gracieux empressement qu'elle est accompagnée à la caisse, car malheur à celui ou à celle qui, passant devant l'inspecteur, trahirait par un simple froncement de sourcils, la fati- gue que la pécore lui a imposée sans parler de celle qui l'attend pour remettre en ordre le sens dessus dessous.

Un patron me confiait un jour, san se douter qu'il ne faisait que répète

n mot de Beaumarchais, qu'aux vertus pxieées des demoiselles ' de magasin oeu de ses meilleures clientes ne seraient capables de les remplacer, ne fut-ce qu'une demi-heure.

Retenez la leçon, mesdames, et.soyez bonnes et humaines pour qui vous sert. Marcel FRANCE.

Contenu textuel de l'image : Elle est souvent une dame, mais son sort n'en est que plus intéressant et plus pénible. Car il n'a de relativement brillant que la tenue et encore je parle des vendeuses, car il ne faudrait pas regarder de trop près au sarreau d'uniforme de la débitrice-, numéroté comme pour faire de celle qui le porte plus manifestement une machine sans personnalité.
Contenu textuel de l'image : La demoiselle de magasin dont je parle est celle des « grands magasins » de Paris comme aussi de ceux de province à l'instar. Dans le tohu-bohu de l'immense hall, à l'heure du coup de feu de l'après-midi, on entend bruyant, on voit papillotant, tout s'anime, les gestes, les yeux, les visages. Les yeux de la demoiselle de magasin, vendeuse ou débitrice, brillent aussi, mais de fièvre, ses gestes restent gracieux, empressés, elle se contraint à garder le sourire sur les lèvres, mais le rose de la vie ne paraît jamais à ses joues. Surprenez-là dans une minute fugitive de repos, où elle se croit hors du regard, le masque d'animation tombe, les traits se contractent comme au naturel, elle ploie sur ses genoux, s'affaisse comme si elle allait s'asseoir, elle en aurait tant besoin ! Mais s'avance une cliente, l'a triste statue de l'anémie qu'elle était se redresse, souriante.
Contenu textuel de l'image : A part l'intervalle du repas, pris généralement dans le réfectoire, sous les combles du caravansérail, elle reste debout
Contenu textuel de l'image : les dix heures de sa journée Et la loi? Ah! la loi; il-y a des cha' en évidence, seulement elles ne sont n S là pour s'asseoir, elles sont là pour 1 loi et pour l'inspecteur ou l'inspectrice du travail si, par hasard, ils se présentaient à l'improviste, mais il n'en survient jamais.
Contenu textuel de l'image : Dans les enquêtes discrètes auxquelles je me livre -sur le travail des femmes, j'ai reçu des confidences bien douloureuses, mais il n'en est pas de plus plaintives, en quelque sorte, que celles des malheureuses vouées au travail dans les grands magasins. J'en ai retenu une particulièrement cruelle. Une débitrice débutante est debout près d'une chaise ; c'est un court moment d'accalmie, elle voudrait bien s'asseoir mais elle n'ose, les camarades lui ont tant dit que tout en étant permis c'était défendu ! Passe près d'elle, un des directeurs, donnant partout son coup d'oeil sournois du maître : <c Mais asseyez-vous, mademoiselle ! » lui dit-il d'un ton presque paternel et, par parenthèse, cela fait du bien pour le bon public qui entend. La débitrice s'asseoit et voit le « patron » se diriger par des détours savants vers le chef de rayon à qui il parle à l'oreille. Or, savez-vous ce qu'il lui disait, — c'est le chef de rayon indigné qui le répéta plus tard : « Monsieur, on n'a donc rien à faire de votre côté que je vois le numéro X en train de se reposer ! »
Contenu textuel de l'image : Mon expérience bien désillusionnée m'a amené à penser que les manifestations de bienveillance, de générosité, de philanthropie, d'ailleurs souvent. affichées, des administrateurs des grands magasins ressemblaient, pour la plupart, à celle de la chaise. Que voulezvous, ils ont la réclame dans le sang, ces gens-là !
Contenu textuel de l'image : La cliente est aussi souvent le bourreau de la demoiselle de magasin, j'entends la cliente d'éducation inférieure qui a, avec qui elle paye, l'insolence de la parvenue. On en voit d'une incroyable exigence, abuser à outrance de la résignation sans borne imposée comme une règle impitoyable de la maison pour attirer la clientèle et la retenir. La belle madame, confortablement installée, le face-à-mains sur le nez fait bouleverser tout un rayon de marchandises lourdes, -des pièces d'étoffe, pour s en aller ensuite ayant arrêté son choix a vingt sous de ruban. Elle n'a pas, declare-t-elle, trouvé son affaire et c'est avec le plus gracieux empressement qu'elle est accompagnée à la caisse, car malheur à celui ou à celle qui, passant devant l'inspecteur, trahirait par un simple froncement de sourcils, la fati- gue que la pécore lui a imposée sans parler de celle qui l'attend pour remettre en ordre le sens dessus dessous.
Contenu textuel de l'image : Un patron me confiait un jour, san se douter qu'il ne faisait que répète
Contenu textuel de l'image : n mot de Beaumarchais, qu'aux vertus pxieées des demoiselles ' de magasin oeu de ses meilleures clientes ne seraient capables de les remplacer, ne fut-ce qu'une demi-heure.
Contenu textuel de l'image : Retenez la leçon, mesdames, et.soyez bonnes et humaines pour qui vous sert. Marcel FRANCE.
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