ÉLIANE
Roman psychologique dédié à Victor Hugo. Suite) - N' 24
CHAPITRE VIII
A LA GRACE DE DIEU
« Ma chère Eliane,
Il fallait que vous ayez à me conter le triomphe sur votre amour passé pour qu'en deux mois j'eusse un billet de vous. Votre guérison merveilleuse me réjouit sans m'étonner, parce que Dieu a permis que cette bienheureuse visite des Varinche mît sous vos yeux le tableau navrant du jeune ménage savant. Je crois qu'avec cela vous oubliez André, la raison et tout.... ce qui s'en suit! Votre style redevient extravagant, que faitesvous donc? Quelle nouvelle toquade dirige ma folle cousine?
« Voulez-vous m'éclairer à ce sujet ? »
Réponse
« Ciel ! pauvre malheureux ! que vous vous donnez donc du tracas inutilement!... C'est vrai que je n'écris plus; ai-je le temps, d'abord? Fêtes, bals, courses, conquêtes, coquetterie!... mais je travaille énormément, allez !...
« L'autre jour, voulant une toilette arc-en-ciel, je donne un patron le soir pour le lendemain ; on me rapporte de la ville un corsage avec 120 d'envergure. Eh bien ! j'ai passé la nuit à me le réduire à 48, mon tour de taille, vous savez, et à me coudre des guêtres pareilles ! Est-ce beau, ça?
« Marie de Mons est ici. En voilà une folle ! c'est pire que moi. Elle a failli nous faire dévorer par les singes qu'elle a lâchés dans la salle de billard !
« Diable ! je suis forte au billard ! je bats tous ces messieurs...
« Où est d'Arian ! On m'en parle ici, je n'ai encore rien pu comprendre à son histoire. Du reste, ça m'est égal !...
« En voilà long !... c'est crispant d'écrire. Je vous expédierai quelques pages de mon journal, ça m'évitera la peine de chercher quoi vous dire.
« Bonjour, toto carabo, titi carabi, tâchez de rire autant que moi. Zest!... Va-t-en, ma lettre! vite, scandaliser le solennel André ! hop ! » ELIE.
Lettre d'André
« Eliane, que signifient ces plaisanteries ! Croyez-vous que je sois très flatté de sentir ma fiancée mener pareille vie? Calmez-vous un peu, s'il vous plaît, ou nous nous fâcherons. »
— Fâche-toi, fâche-toi, mon ami, tant que tu voudras! se moqua Mademoiselle Delinge en jetant ce billet dans le feu du réchaud où chauffait son fer à papillottes. J'ai perdu la tête quand je me suis rivé ce boulet au pied. Je ne répondrai mot- nous avons certes le temps de nous épouser, aussi bien pour lui que pour moi ; nous serions deux malheureux !
DEUXIÈME PARTIE
Le fils Delinge, accoudé à un banc placé sur la terrasse de sa maison, regardait dans le vide en songeant, plein d'amertume combien ses avertissements réitérés à sa future femme étaient restés inutiles.
Huit mois s'étaient écoulés depuis son dernier billet d'avertissements. Il n'avait reçu que des télégrammes ainsi conçus : Vais bien, et vous? il y avait répondu parfois longuement sans plus de succès.
( A suivre).
AYME DELYON.