THÉÂTRE.
Grand-Théâtre. — Le Mangeur de fer, drame en beaucoup de tableaux, par Edouard Plouvier.
Ce n'est vraiment pas la peine d'avoir mis au monde une romance plaintive, intitulée : Les quatre âges du coeur, et qui débute ainsi :
« Petit enfant, j'aimais d'un aaamour tendre,
« Ma mère et Dieu, saintes aaaffections.
« Puis mon amour aux fleurs se fit entendre,
« Comme aux oiseaux et comme aux paaapillons... »
pour s'en aller chercher dans Balzac, le type impérissable de Vautrin, et le découper au goût des habitués du boulevard du Crime.
Décidément, nous l'avons déjà dit du reste, le siècle (pas le journal) est aux forçats ; ils trônent au sous-sol du Petit Journal, avec Rocambole ; on publie dans le Soleil et dans l'Événement deux histoires dont les scènes se passent dans les cabinets de juges d'instruction; les Nouvelles publient un roman qui a pour titre Le banquier des voleurs; en un mot on s'en occupe partout et il était juste que le théâtre, miroir des moeurs, mit à son tour en scène, un de ces cocodès de Toulon.
Le Mangeur de fer est un drame qui n'est ni meilleur ni pire que la plupart de ceux qui l'ont précédé ; bien que les journaux de Paris aient lâché à son sujet le mot de chef-d'oeuvre; on y retrouve comme d'anciennes connaissances, ces vieilles ficelles classiques qui font la gloire de la maison Dennery ; il y a surtout certaine lettre qu'on laisse tomber à propos et qu'un grand seigneur, soupçonné d'assassinat, sait ramasser à temps pour établir
son innocence : nous avons revu cette lettre avec émotion ; il y a bien longtemps que nous la connaissions
M. D'Herblay a engagé pour les représentations de drame de l'auteur des Quatre âges du coeur, deux artistes parisiens qui en remplissent les deux rôles principaux M. Luguet et Mlle DuvergerMlle
Duverger a une réputation énorme comme actrice à diamants. Elle a prétendent ses amies moins de bril- lant dans son jeu qu'à ses oreilles ; et à la première re- présentation, la haute et basse cocotterie s'était donnée rendez-vous pour voir les caillous scintillants. Ces dame ont été trompées dans leur attente, et Mlle Duverger s'est contenté de jouer sans beaucoup d'originalité le rôle de Diane. Ses toilettes tapageuses feraient peut- être un certain effet aux courses de Vincennes ; mais les modes de 1866 ont paru assez ridiculement placées sous Charles X — la scène se passe en 1828 — alors que les autres acteurs cherchent dans la mesure de leur garde robe, une certaine vérité de costumes.
M. Luguet est un acteur de mérite, qui remplit avec succès le rôle du Mangeur de fer ; son talent au point de vue des changements de costume et d'accent, ferait honneur à un véritable criminel poursuivi, et il n'aurait qu'à relire le Père Goriot et l'arrestation de Vautrin dans la maison Vauquier, pour être parfait dans le tableau que représente son arrestation au cabaret du Soleil Rouge
Mlle Smith apporte sa conviction habituelle dans le rôle de la fille du duc; M. Laty, ne m'a jamais fait l'effet d'avoir bien fréquenté les substituts qui ont d'autres allures que les siennes ; M. Train est assez faible, bien qu'on puisse reconnaître que cette année, il a l'air un peu moins embarrassé que l'an dernier; M. Lebrun est bon dans le rôle d'un agent de police, qui se déguise en femme pour reconnaître celui qu'il doit arrêter.
Si les comparses apprenaient à danser, ce ne serait pas un mal, et il nous semble que les rôles inférieurs devraient être mieux interprétés qu'ils ne le sont.
Le public lyonnais ne se porte pas en masse aux représentations du Mangeur de fer, et si M. D'Herblay voulait donner un attrait de plus à son spectacle, il pourrait faire exposer au foyer pendant les eutr'actes dans un aquarium ad hoc, les fameux diamants; il y aurait foule.
Nous sommes heureux de lui faire hommage de cette idée que Barnum n'aurait certes pas dédaignée.
FRÈRE JACQUES.