CAMEES BENOITON
III Mes Voisines
Un chroniqueur du siècle dernier raconte que Mme de la Mezerai devenue vieille, cherchait à se reconstruire. A cet effet elle s'enfermait dans sa chambre et devant une glace, elle essayait de mouler ses formes affaissées, Elle se plâtrait, se badigeonnait, se mettait près d'un grand feu et aux indiscrets qui la venaient demander, la femme de chambre avait coutume de répondre « Madame n'est, pas visible, elle sèche ».
Aujourd'hui, que de femmes jeunes et belles, à qui il ne manque ni dents, ni cheveux, ni oeil, et qui ne sont pas courtisanes, se plâtrent, se fardent, s'huilent, se saturent la peau de couleurs, d'onguents, d'odeurs, de vinaigres, comme la vieille Mezerai! Allez le Dimanche a la messe de midi à St-Bonaventure ou à St-François et vous m'en direz des nouvelles.
Tenez j'ai deux voisines : elles sont blondes, elles ont les yeux bleus, elles ont dix-huit ans, elles seraient certainement très-jolies si ce n'était cette rage qui les tient de se tatouer la face, de s'historier les joues en rose, en noir, en bleu, de se teindre les sourcils, de se veiner les mains, de se gauchir la taille dans des corsets assassins, de s'embenoitonner en plein.
Eh bien ! elles sont très-laides. Jamais les tons delà peinture ne sont bien fondus. Tantôt il y a trop de blanc pour pas assez de rouge, tantôt trop de roses sur les joues pour tant de lys sur le front; quelquefois tout est barbouillé, la figure ressemble à ces images d'Épinal qu'un enfant s'amuse à colorier.
Quoiqu'aussi bien assorti que possible, on voit clairement que le chignon n'est pas de cette famille de Cheveux ensoleillés qui entourent le haut du visage; il est plutôt jaune que doré, on sent qu'il ne vit pas et qu'il regrette les épaules de quelque vachère de Suisse, on a beau l'entourer de bandelettes, il rejimbe et s'écbevèle sur les longs Suivez-moi, jeune homme et sous ce petit plat ébréché qu'on nomme le chapeau Benoiton.
La poitrine étranglée par des buses féroces respire difficilement, le moindre mouvement des bras semble
une torture ; ce que M. de Lamartine appelle les premières ondulations de la jeunesse (1) est pressé, gêné, bourré, gonflé, revu, corrigé, augmenté ridiculement, on a toujours peur qu'un délacement comique (ah! pardon) ne livre au public le secret de ces rondeurs exagérées.
Le reste de la toilette est à l'avenant, partout des pléonasmes, un fouillis insensé de dentelles, de plumes, de rubans et de fleurs.
Quand donc ce goût du tatouage et ce tatouage du goût finira-t-il? Qu'espèrent donc les mamans qui permettent à leurs filles de s'attifer ainsi? Qui veulent-elles tromper? Et ces dames sont stupéfiées de voir certains jeunes gens qui ont de la fortune et de la raison résister au mariage et préférer le célibat! Il n'y a, ma foi, rien d'extraordinaire à cela ; la belle acquisition que de prendre une poupée qui ne pense qu'aux colifichets, aux modes baroques, qui ne rêve, hiver comme été, qu'aux exhibitions d'épaules, de mollets, etc. etc. Dam, il y a des aristocrates en amour qui aiment à être seuls à voir ces choses là..
Certes je ne veux pas faire la guerre au luxe. Il est utile, il est même indispensable. Que le riche consomme beaucoup (ce sera rare) ; qu'il mette des diamants sur ses bottes, tant mieux; mais qu'une mère de famille, affuble ses filles sans dot d'oripeaux bizarres et quasi somptueux et qu'elle espère pour gendres des ambassadeurs ou même des épiciers en gros, sous prétexte que ses petits anges savent se tordre sur un piano, laver une seppia ou peindre à la gouache, il y a de quoi rire.
Et l'on s'étonne après cela de voir de malheureux époux partir gaiement, emportant tout avec eux comme Lias, excepté leur femme et leur progéniture, et l'on crie au scandale quand on apprend qu'un agent de change vient de mettre la morale en actions et a filé en Belgique, et l'on pousse des gémissements lorsqu'une jeune fille, faute de parti, prend celui de se marier toute seule, et l'on parait surpris que le Salut Public prenne plus de deux pages et demie pour annoncer les ventes de meubles, d'immeubles, de propriétés, de biens paraphernaux, et la société tout entière s'ébouriffe de tant de séparations de corps ! C'est pourtant bien simple à expliquer.
Ce sont des petites vierges embenoitonnées qui, exaspérées par le célibat, jettent leur petit Benoiton par dessus les moulins et s'amusent à démolir des fortunes.
Ce sont des dames qui, irritées de la parcimonie de leurs époux, s'endettent pour satisfaire leur manie de parader, de se montrer plus qu'elles ne sont ; des femmes mûres que le goût de l'époque finit par corrompre et qui quittent leurs bas pour se lancer sur le turf de la fashion.
Enfin c'est cette soif immodérée de luxe, de splendeurs qui amène ces catastrophes financières ou domestiques, dont le premier mot se lit sur un chiffon de dix louis et le dernier sur un grabat de l'hôpital.
COLOMBINETTE.