LES CHEVEUX DE SOIE
Voici venir une nouvelle mode qui, quoiqu'ayant pris naissance parmi les dames à petits chiens, à cocodès et à registres de police, ne tardera probablement pas à s'inplanter dans le monde des femmes qu'on salue.
Il n'est point dans mon intention de refaire ici le réquisitoire de M. Dupin, célèbre à juste litre pour avoir porté des souliers ferrés, — mais une chose qui m'étonne, c'est que les dames légères qui sont la cible des malédictions et des anathèmes de tous les gens moraux — Guignol en tête; c'est que ces dames, dis-je, n'ayent jamais songé à répondre ceci aux reproches dont on les accable:
— En vérité, vous nous la baillez belle, vous qui nous accusez de grangrener les populations : nous faisons tout ce qu'il est humainement possible de faire pour qu'on nous reconnaisse de loin et à première vue, et afin que les gens susceptibles d'être gangrenés se sauvent de nous à toutes jambes.
Nous avons soin de porter des robes tellement longues, des chapeaux tellement petits et des figures tellement maquillées, qu'il est impossible à un homme sensé de ne pas se dire en nous rencontrant :
Ceci est une cocotte !
Hé bien! est-ce notre faute si les femmes honnêtes dont nous cherchons à nous distinguer par tous les moyens imaginables ; reproduisent nos excentricités de costumes et de manières, avec une telle perfection qu'il en résulte des confusions déplorables et des désordres graves dans la société.
Etant admis que nous devons exister — ce qui n'est pas contestable, — peut-on nous demander autre chose que d'afficher clairement ce que nous sommes et ce que nous valons — à la manière des pharmaciens qui mettent sur certaines topettes :
Médicament pour l'usage externe !
Il me semble que ce petit discours ne manquerait pas de sens, mais il est probable qu'il ne sera jamais prononcé, car l'éloquence des dames en question consiste généralement à dire : Zut ! Du flan ! As-tu fini ! Et ta soeur ! toutes expressions qu'il m'a été impossible de retrouver dans les oeuvres complètes des orateurs de l'antiquité.
Si je parle des orateurs de l'antiquité, c'est qu'ils étaient d'une qualité infiniment supérieure à ceux de ce temps-ci, par l'excellente raison qu'ils n'existent plus depuis plusieurs siècles, et qu'on nous a fait traduire leurs oeuvres au collège.
Règle générale pour avoir une réputation de grand écrivain ou de grand orateur :
— Etre mort depuis cent cinquante ans au moins.
— Avoir fait bailler plusieurs générations et servir de prétexte à une quantité indéfinie de pensums.
Cela est tellement vrai que, si jamais les poésies de M. Belmontet prennent rang parmi les ouvrages classi il arrivera dans un temps éloigné c'est vrai, mais il arrivera—à une réputation littéraire qui fera pâlir celle de M. Gagne, et sa fameuse exclamation du mois dernier se placera comme mouvement oratoire auprès du Quousque tandem Calilina, etc. Revenons aux cheveux de soie. Je voulais dire que ce nouveau genre de coiffure, qui consiste à se fourrer sur la nuque une touffe de soie crespelée, est certainement la mode la plus laide et la plus complètement idiote qu'il m'ait été donné de voir de longtemps. Certes le chignon a des inconvénients ; car rien n'est désagréable comme d'aimer une femme qui se démonte, — mais au moins ce sont des cheveux, et pour peu qu'ils soient munis de crochets habilement ajustés, un homme suffisamment épris peut encore se bercer d'illusions. Avec les cheveux de soie, cela deviendra complètement impossible, et je me demande avec inquiétude si l'amour pourra résister à une déclaration faite dans ces termes : — Madame , vous avez une chevelure en organsin premier ordre, qui vaut, au bas mot, cent-quarante francs le kilo! Je dois dire que je professe en fait de modes féminines des opinions d'un libéralisme à taire frémir M. Paulin Limayrac. Selon moi nous ne pouvons demander au sexe aimable qu'une seule chose : Le charme ! -- Pourvu que la femme y arrive, l'homme n'a point à s'inquiéter si c'est grâce à une taille basse ou montante, à des manches larges ou étroites, à des boucles de ceintures grandes ou petites, etc. — C'est surtout en matière de toilette que la fin justifie les moyens. Cependant il y a des limites, et malgré mes principes de 89, j'ai certaines idées préconçues qu'on me sortira difficilement du cerveau, à savoir, qu'une tête ne peut jamais se trouver que dans ces deux situations : Ou avoir des cheveux. Ou ne pas en avoir. Si, changeant la destination donnée par la nature,vous remplacez les cheveux par de la soie, — il n'y a aucune raison de s'arrêter dans cette voie, — et le jour où je verrai les femmes se coiffer avec une paire de chaussettes ou des tiges de bottes, — je n'en serai que médiocrement étonné. WILHELM GIRL.