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    Guy de Maupassant

    L'âme de ce grand écrivain et de ce frissonnant poète s'est envolée.

    Il est mort le matin du 6 juillet en la maison bien close que M. le Dr Meuriot possède à Auteuil. Elle est cachée toute par de grands arbres. Une ombre verte enveloppe les fantômes d'êtres qui glissent dans les allées du parc.

    Maupassant divaguait là-bas avec des gestes fous. Son bel esprit si clair, si français, s'était enfoncé dans la nuit. Depuis le tragique retour de Nice, durant lequel il avait failli périr, l'année dernière, aucune étincelle n'avait jailli de ses yeux jadis si brillants, d'un bleu intense, qui illuminait, de gaieté spirituelle, sa bonne figure ronde, un peu haute en couleur. Il se taisait. Il regardait fixement devant lui, sans voir, comme dominé par une Force invisible : celle-là même dont il eut peur, alors qu'il imagina le terrifiant Horla, l'être insaisissable qui se glissait auprès de lui, le soir, qu'il sentait roder dans la chambre, et qui venait boire l'eau de sa carafe.

    Et il écrivait : Quelqu'un possède mon âme et la gouverne ! Quand l'âme fut possédée tout à fait, Paris éprouva, lui aussi, le petit frisson qui fait froid dant le dos et qu'on sent passer dans les cheveux, ainsi qu'un peigne glacial. Lui-même avait traduit dans un de ses contes exquis cette aiguë sensation de l'épouvante, Paris tressaillit à la nouvelle de la catastrophe où venait de sombrer l'intelligence de son écrivain aimé, du plus parfait, peut-être, après Gustave Flaubert, et de tous le plus charmant. Et l'on répandit mille propos, des légendes qui voulaient expliquer, chacune à sa façon, le coup de folie furieuse qui s'était emparé de lui. Nous qui l'aimions, nous savions bien qu'il n'y eût pas de volonté plus ferme que la sienne, ni de plus résolue à équilibrer les émotions de la vie. Pourquoi eût-il recouru aux excitantes fumeries de haschich et aux griseries d'éther? Les bourgeois imaginent difficilement le développement lent et régulier d'un beau talent, tel que Guy de Maupassant l'avait ordonné lui-même dans sa magistrale préface de Pierre et Jean. Et la vérité, qui parait paradoxale, c'est qu'il avait façonné son oeuvre par un effort continu et pénible, appliquant la méthode qu'il indiquait à M. Jules Gaze : Prenez un boeuf, un àne, une pierre, et décrivez-les vingt fois, cent fois, jusqu'à coque la peinture et la réalité se confondent et que l'oeuvre d'art soit la chose elle-même. Cette volonté assez puissante pour se hisser jusqu'au génie s'abattit tout naturellement lorsque la tension fut extrême. Toute la vie de Maupassant se passa en un effrayant surmenage cérébval. C'était Sandoz travaillant sans cesse et quoi qu'il arrivât ; c'était aussi la victime que guettait la folie héréditaire, l'Inconnue qu'il croyait voir à son chevet et vers laquelle il se dressait tout pâle lorsqu'il entendait les meubles craquer.

    Pour échapper à Celle qui lui prenait l'âme, il lutta avec une énergie désespérée, s'entraînant aux sports énervants, luttant avec l'impossible, tentant les prouesses les plus téméraires. Je l'ai rencontré dans son voyage au Pays du Soleil qui donna lieu aux plus vives polémiques, ici même. Il chevauchait avec les officiers, saoul d'air bleu, à cheval avant que l'aube n'eût mis de la poussière d'ambre à l'horizon du Sud- Oranais. Il écrivit d'ailleurs, à ce propos, le moins bon livre de son oeuvre, car s'il y avait en lui un peintre d'une puissance de coloration surprenante, le politicien qui y citait aussi s'imprégnait trop aisément d'idées reçues et d'opinions toutes faites. Plus tard, au Mont-Dore, je le vis une dernière fois. Il s'exerçait aux marches, à la gymnastique et au tir, homme de sport par excellence et découplé comme personne. C'était en l'auberge de « Madame Parât », à Châtel-Guyon. Il y avait là M. Laguerre, Ch. Joly, Montlouis et le comte Patocki, avec qui il rivalisait d'adresse au pistolet. Maupassant écrivait alors Mont-Auriol et, le soir, il lisait les pages écrites à l'excellente Mme Parât, très fière de la confiance qu'on lui témoignait et qui dodelinait de la tête, deci, delà, d'un petit air entendu tout à fait réjouissant. Puis, ce fut l'apparition de Fort comme la mort, son dernier livre, je crois, et il s'en alla dans les régions vagues où passent les fantômes, où flottent les ombres indécises des visions de Baudelaireet les rêves d'Edgar Poë.

    Avec eux, il eut bien quelque ressemblance, au moins par le côté fantastique de son oeuvre qui fait surgir des coins sombres, à la veillée, de terrifiantes apparitions. Mais, pour aussi pâle et imperceptible que fût en son génie la ligne tremblante dont parle José Echegaray, et qui sépare la raison de la folie, il n'y a plus de doute que tout ce côté étrange et quasiment mystique de son oeuvre ne fut raisonné et voulu.

    Sur ce point, M. le docteur Garnier a certainement porté un diagnostic inexact, lorsqu'il assimila la démence de Maupassant à celle qui suspendit Gérard de Nerval à un bout de corde, au coin de la rue des Lavandières-Sainte-Opportune. Il était de l'école opposée à celle des haschichiens de l'hôtel Pimodan. La première fois que son nom eut accès auprès du grand public, c'était en compagnie de M. Zola, de M. Henry Céard et des naturalites des soirées de Médan. Gustave Flaubert avait été son maître. Il avait appris de lui le culte de la prose robuste agencée selon des règles immuables, de la peinture vivante et forte. L'écrivain de la Maison Tellier, de Boule-de- Suif et de cent autres merveilles qu'il est impossible d'analyser en la fièvre d'un article de journal, écrit sous le coup d'émotions vives, contrastait précisément avec toute la jeune école décadente. Et c'est une dérision de lire à présent les jugements que portèrent à son endroit de jeunes niais consultés par l'Echo de Paris qui apporta quelque ironie, j'imagine, à cette enquêtein extremis. C'était le soir même où l'on jouait la Paix du ménage à la Comédie, et pendant que les acclamations saluaient le grand écrivain en sa retraite de la maison d'Auteuil. Je me souviens qu'il y eut alors quelques petits jeunes pour railler le grand mort à qui M. de Goncourt envoyait, dans l'au-delà, le salut d'une admiration respectueuse !

    Aujourd'hui, Maupassant n'est plus. Il s'est évadé des ténèbres, celui qui écrivait :

    A mesure qu'approche le soir, une inquiétude incompréhensible m'envahit, comme si la nuit cachait une menace terrible...

    Et il est entré dans la lumière, qui est le doux repos des âmes, oiseaux de nuit effarés.

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