MÉMOIRES D'UNE VIEILLE FILLE

Quarante ans ! hélas! oui quarante ans, - ils viennent de sonner à ma pendule, mon carlin a fait entendre un grognement de plaisir, mon chat un miaulement de satisfaction et me voilà bien enrégimentée cette fois dans le bataillon des vieilles filles: — Ste-Catlierine ma patronne, je suis à vous toute entière!

Vieille fille ! Hé ! bien, — pourquoi le cacher, — au fond ce n'était pas ma vocation. Non, à seize ans, — au printemps de la vie, comme disent les poètes, je rêvais à autre chose qu'à un chat angora ou à un perroquet, et je ne désespérais pas de faire inscrire plus tard sur ma tombe, en lettres d'or: — bonne mère et tendre épouse !

Que voulez-vous, la jeunesse a de ces illusions, de ces folies!

Autour de moi, on blâmait les femmes frivoles, on parlait avec éloge de ces vertus solides, de ces qualités sérieuses, recherchées par les épouseurs, destinées à assurer le bonheur conjugal, et moi, naïve, de croire à ces racontages et de m'efforcer de réaliser ce programme vanté!

Dédaignant la mode et ses caprices, les arts d'agréments et leurs futilités, — je délaissai héroïquement le piano pour le raccommodage, et la toilette pour la cuisine. Avec une ardeur digne de louanges, je me lançai dans la cuisinière Bourgeoise et dans le linge déchiré, — bientôt je parvins à acquérir dans le ravaudage des bas une supériorité incontestable, bientôt la batterie de cuisine n'eut plus de secrets pour moi!

Tenez un plat surtout que je réussissais à merveille : les omelettes soufflées !

Hé! bien, hélas! malgré cela, malgré mes talents, aucun homme jeune, beau, bon, fait pour être aimé ne s'est précipité à mes pieds pour me demander mon coeur . ma main — et une omelette soufflée !

Les hommes, eh! mon Dieu! pendant qu'une pauvre fille désireuse d'acquérir ces qualités qui font la bonne ménagère, se piquait les doigts et se rougissait le visage devant les casseroles, — les hommes allaient présenter leurs hommages à une certaine poupée du voisinage, une petite Eudoxie qui portait d'énormes chignons, des bottes à talons hauts, et s'emplâtrait la figure de carmin! On citait même un jeune vicomte qui s'était étranglé pour elle, —l'imbécile!

Un jour le dépit s'est emparé de moi, — rejetant bien loin, pelotons, étuis et légumes, — je me suis dit : — Et moi aussi j'aurais de gros chignons et de grands talons ! Alorssur mes prières, on m'a menée dans le monde, bien vite j'ai appris à danser avec grâce, à m'éventer dans le bon style, à parler le jargon des salons : je n'étais ni laide, ni sotte, on m'a admirée, on m'a fait quelques compliments, on m'a dit que j'étais charmante... mais jamais un homme jeune, beau, bon et fait pour être...— Ah! pardon, j'oubliais, M. Ducantal, un ami de la famille qui m'a soupiré un jour en me prenant la main et en faisant clignotter ses petits yeux: — Chère' enfant, combien je serais heureux de faire votre bonheur.

Vieillard slupide! - goutteux jusqu'aux oreilles, — et une toux !

C'est que voyez-vous j'avais un grand défaut: —une dot un peu maigre, — voilà tout.

"Depuis six mois, je suis riche, une tante d'Amérique... vous riez, — il y a eu assez d'oncles ce me semble, — donc une tante d'Amérique....

Savez-vous combien j'ai reçu de demandes en mariage à trente-neuf ans et demi, aujourd'hui que je porte des mitaines, des lunettes et des chaussons? — Trente sept!

Les monstres! — je vais acheter un singe.

GERTRUDE

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Contenu textuel de l'image : Vieille fille ! Hé ! bien, — pourquoi le cacher, — au fond ce n'était pas ma vocation. Non, à seize ans, — au printemps de la vie, comme disent les poètes, je rêvais à autre chose qu'à un chat angora ou à un perroquet, et je ne désespérais pas de faire inscrire plus tard sur ma tombe, en lettres d'or: — bonne mère et tendre épouse !
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Contenu textuel de l'image : Autour de moi, on blâmait les femmes frivoles, on parlait avec éloge de ces vertus solides, de ces qualités sérieuses, recherchées par les épouseurs, destinées à assurer le bonheur conjugal, et moi, naïve, de croire à ces racontages et de m'efforcer de réaliser ce programme vanté!
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Contenu textuel de l'image : Hé! bien, hélas! malgré cela, malgré mes talents, aucun homme jeune, beau, bon, fait pour être aimé ne s'est précipité à mes pieds pour me demander mon coeur . ma main — et une omelette soufflée !
Contenu textuel de l'image : Les hommes, eh! mon Dieu! pendant qu'une pauvre fille désireuse d'acquérir ces qualités qui font la bonne ménagère, se piquait les doigts et se rougissait le visage devant les casseroles, — les hommes allaient présenter leurs hommages à une certaine poupée du voisinage, une petite Eudoxie qui portait d'énormes chignons, des bottes à talons hauts, et s'emplâtrait la figure de carmin! On citait même un jeune vicomte qui s'était étranglé pour elle, —l'imbécile!
Contenu textuel de l'image : Un jour le dépit s'est emparé de moi, — rejetant bien loin, pelotons, étuis et légumes, — je me suis dit : — Et moi aussi j'aurais de gros chignons et de grands talons ! Alorssur mes prières, on m'a menée dans le monde, bien vite j'ai appris à danser avec grâce, à m'éventer dans le bon style, à parler le jargon des salons : je n'étais ni laide, ni sotte, on m'a admirée, on m'a fait quelques compliments, on m'a dit que j'étais charmante... mais jamais un homme jeune, beau, bon et fait pour être...— Ah! pardon, j'oubliais, M. Ducantal, un ami de la famille qui m'a soupiré un jour en me prenant la main et en faisant clignotter ses petits yeux: — Chère' enfant, combien je serais heureux de faire votre bonheur.
Contenu textuel de l'image : Vieillard slupide! - goutteux jusqu'aux oreilles, — et une toux !
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