Les bizarreries et les méfaits de la Mode
Quoi qu'en disent certains esprits moroses, la mode n'est pas toujours malfaisante. Elle serait même une excellente chose si elle avait une direction, et si cette direction possédait une dose moyenne d'intelligence et de moralité.
La mode sert à rompre la monotonie du temps. Elle donne au paysage humain sa couleur changeante ; elle lui imprime sa note caractéristique, tantôt excentrique, tantôt gaie, tantôt bouffonne.
Sans la mode qui nous occupe un peu, que deviendraient nombre de jeunes fils de famille tristement oisifs et absolument inutiles dans la société ? Le souci de bien porter la mode occupe un peu ces bous jeunes hommes et les aide à mieux supporter le poids de leur oisiveté.
Autrefois, la mode était faite, le plus souvent, par la partie élégante et frivole du haut monde parisien, chez laquelle la frivolité n'excluait pas l'intelligence.
Aujourd'hui, il en va tout autrement. Les modes se font absolument au hasard. Pour en être convaincu, il n'y a qu'à voir ce qui se passe autour de nous.
Il est bien évident, par exemple, qu'une mode qui consiste à se cacher le front, siège de l'intelligence, et à se faire une tête sur le modèle des caniches, ne peut avoir été inventée que par des femmes dénuées d'intelligence et absolument déclassées.
De, même, si nous examinons la chaussure, il est bien visible qu'une mode qui impressionne les orteils au point que les cors doivent y pousser dru comme champignons sur vieux troncs de saules; qu'une mode, qui en outre, fait paraître tout le monde pied plat, ne peut s'être produite que par l'effet du hasard et qu'à défaut de celui-ci, elle ne pourrait avoir été inventée que par des pédicures ou par des savetiers en goguettes.
Il en est de même du corset.
Depuis l'avènement en France du corset actuel, du corsetcarapace armé de buses et de baleines, taillé sur le modèle de celui qu'importa en France, au XVe siècle, l'exécrable reine Catherine de Médicis, jamais instrument compressif aussi nuisible n'avait été porté par le beau sexe. .....
Pour les jeunes filles qui aspirent à devenir de gracieuses épouses et de bonnes mères, ce corset est une calamité. L'énorme compression qu'il exerce jusqu'aux aisselles rend les mouvements de flexion si impossibles qu'il est bien peu de dames qui, une fois corsetées, pourraient ramasser à terre une pièce d'or échappée de leur porte-monnaie.
Evidemment, cet engin compressif n'a pu être destiné qu'à des femmes n'ayant à remplir aucun des devoirs de la société, et n'a pu être inventé que par des tailleuses du même acabit.
Pourquoi me dira-t-on, incriminez-vous les tailleuses plutôt que les corsetieres ? Parce qu'aucune corporation ne va d'elle-même
contre ses intérêts, et que celui des corsetiers est intimement lié à la somme de bien-être que leurs produits répandent dans leur clientèle.
Or, cette clientèle n'existe pas seulement en France, elle est épandue sur le monde entier, et occupe un personnel considérable qui, pour Paris seulement, ne compte pas moins de quatre mille individus, dont la production est quintuplée par les machines à découper, piquer, oeuilleter, etc.
Depuis 1850, il a été pris dans cette industrie 76 brevets d'invention qui tendent tous vers le même but, celui de rendre le corset plus souple, plus léger, plus élastique et le plus commode possible. Par conséquent, la carapace actuelle n'est pas sortie de chez eux.
Cette oeuvre barbare et rétrograde n'a qu'une seule raison d'être, c'est de satisfaire le besoin qu'éprouvaient, à Paris, certaines tailleuses interlopes de faire des robes qui, tout en continuant a dessiner les formes fussent d'un modèle nouveau.
C'est dans ce seul but qu'à été créé cette cuirasse qui, comprimant outre mesure jusqu'au thorax, gène horriblement la circulation; qui, refoulant en bas les viscères abdominaux, trouble jusqu'aux fonctions digestives, et qui a dû occasionner des cas innombrable» de dyspepsies, de hernies, de fausses couches, etc., etc.
Pour comprendre à quel point il est nuisible, il n'y a qu'à examiner la figure des femmes un peu fortes qui montent en voiture ou en tramway. Rien que pour accélérer le pas pendant quelques secondes, on les voit s'essouffler à en perdre haleine et prendre une figure absolument cramoisie.
Pauvres victimes ! comme on les plaindrait sincèrement si leur torture n'était pas volontaire ! Et chose triste à voir : la plupart des mères en permettent l'usage à leurs jeunes filles chez lesquelles l'accroissement interne et externe des organes n'étant pas terminé, a tant besoin de liberté et d'épanouissement.
Aussi combien n'en voit-on pas chez lesquelles les baleines remontent si haut sous les aisselles qu'elles en ont l'air toutes bossues. C'est que la gêne qu'elles éprouvent sous ce genre de compression leur fait soulever instinctivement une des deux épaules qui alors prend plus de développement que l'autre.
Que cette mode dure quelque temps encore, et elle nous fabriquera des générations d'avortons.
Une autre chose dans cet étrange inventaire, aussi inepte qu'immonde, c'est la prétention bestiale qu'elle semble avoir eue de rectifier dans le buste l'idéal de la beauté féminine, et cela en réunissant en un seul paquet informe des parties que la nature a créées très distinctes, ainsi qu'on peut le voir par les modèles de la Vénus de Milo, ou par celle de Médicis.
Pour opérer cette modification, elle a pris modèle sur les quadrupèdes herbivores et ruminants, chez lesquels, en effet, la nature a placé en un seul paquet les appendices mammaires.
Ce n'est pas chez les Grecs ni chez les Romains, ces grands admirateurs de la belle esthétique, que de pareilles aberrations féminines eussent pu se produire.
Chez eux, les artifices de toilette destinés à soutenir la poitrine tout en dessinant la gorge étaient des plus simples, ce qui n'en excluait pas la richesse, et n' avaient pour but que de rehausser l'oeuvre de la nature.
C'est ainsi qu'Homère, décrivant dans son Illiade la toilette que portait Junon, lorsqu'elle voulut séduire Jupiter, parle avec complaisance d'une ceinture qui dessinait amoureusement la taille de la déesse et qui était brodée de pierres précieuses et de franges d'or...
Les caprices malsains de la mode ne sont possibles dans notre société que parce que l'instruction des femmes y a été jusqu'ici dévoyée et on ne peut plus superficielle.
S'il en était autrement, on ne les verrait pas subir inconsciemment les modes les plus antinationales et les plus répulsives, comme le sont en ce moment celles des manches à gigot et épaulettes carrées, ainsi que celle du corset carapace, qui n'ont d'autre raison
d'être que celle d'avoir été portée par une reine d'horrible mémoire dont le nom est resté inséparable de celui du massacre de la SaintBarthélémy. D F.