L'affaire de «la femme coupée en morceaux» continue à défrayer toutes les conversations.
Les journaux, grands et petits, faute d'informations utiles à leur tirage, continuent à insérer une foule de points d'interrogation, qui semblent dire beaucoup et qui, au fond, ne disent rien du tout.
Quand donc nos moeurs publiques seront-elles assez policées pour que, obligés de satisfaire les déplorables appétits de la foule, les journaux n'en soient plus réduits à la triste besogne que nous leur voyons faire à propos de tous les crimes commis?
Triste besogne, en effet, que celle qui consiste, sur de simples présomptions — je parle de simples présomptions pour les journalistes, et non pour les magistrats — à charger un accusé, peut-être un innocent, d'une multitude d'hypothèses, et quelquefois d'affirmations toujours déshonorantes !
Et ces détails sur l'accusé, sur sa famille, sur sa misère, sur ses haillons, sont-ils assez répugnants !
Eh bien ! admettez que demain, à la suite de l'enquête judiciaire, cet homme et les siens, arrêtés comme lui, soient déclarés innocents, ne sera-t-il pas regrettable qu'on ait livré en pâture, à des milliers de lecteurs, tant de révélations de souffrances intimes ou tant de récits entachés d'une honte éternelle?
Il m'est avis que la loi sur la presse, que l'on élabore, devrait couper court à tous ces scandales, de nature d'abord à entraver l'action de la justice, à entretenir ensuite le côté bestial et féroce de l'humanité, et à transformer enfin, en coupables, avant les conclusions de l'enquête judiciaire ou d'un arrêt de
Cour d'assises, les accusés, respectables comme accusés.