CAUSERIE

On a représenté la semaine dernière, au Grand-Théâtre, un agréable ballet, intitulé Callirhoé, dont on trouvera le compte rendu plus loin.

Une nouveauté, en fait de ballet, est aujourd'hui un événement si rare dans nos annales théâtrales, qu'il prend les proportions d'un événement.

Il y a une trentaine d'années, le ballet était en grande vogue à Lyon. Le personnel qui le composait était do beaucoup plus considérable qu'à l'heure présente, car il n'y a plus que ce qu'on appelle un divertissement, c'est à-dire un nombre assez limité de danseurs et de danseuses, exécutant quelques pas intercalés dans un opéra, comme intermède.

A l'époque dont je parle, un ballet avait volontiers quatre à cinq actes, et constituait à lui seul, parfois, tout le spectacle de la soirée.

C'est à cette époque que Joseph Luigini, le père d'Alexandre, qui, comme son fils, était chef d'orchestre, écrivit la musique d'un grand ballet intitulé La Loreley, dont un grave magistrat, mort depuis, n'avait pas dédaigné faire le scénario ; ce qui démontre que le genre chorégraphique un peu dédaigné de nos jours, était alors tenu en assez grande estime.

C'est surtout à l'époque ou Justamaut— qui depuis a conquis à Paris une certaine célébrité — dirigeait le bataillon des danseuses, que le ballet atteignit à son apogée,

Il menait son personnel en jupes courtes, au doigt et à l'oeil, ou plus exactement, à la cravache. ,11 arrivait en effet à la répétition, chaussé de bottes à l'écuyère et tenant à la main une cravache qui ne restait pas inactive, car elle cinglait vigoureusement la danseuse qui avait raté son pas, ou fait un faux mouvement. Ce procédé manquait certainement de galanterie, mais le résultat en était merveilleux, car aux représentations, il y avait dans les mouvements une précision qu'un colonel eût envié pour les hommes de son régiment.

Il est inutile de dire que les ballets étaient montés alors avec un luxe de décors et de costumes dont seule peut donner une idée la mise en scène actuelle des féeries.

Le public avait une telle passion pour la danse, que lorsque un opéra constituait le spectacle, la soirée se terminait toujours par un ballet en un acte, ballet comique en général, w"re qui a absolument disparu et dont le répertoire comptait quelques ouvrages amusants, tels que les Meuniers,les Conscrits espagnols la Fille mal gardée, etc.

Un ballet comique, intitulé le Déserteur — tiré d'une pièce de Sedaine — faisait invariablement partie de toute représentation du dimanche, donnait-on —ce qui est arrivé quelques fois — sept à huit actes, le public ne se retirait satisfait que s'il avait eu son ballet préféré.

Puisque il existait un ballet comique, il y avait, conséquence naturelle, un danseur comique ; ce danseur, qui devait être quelque peu acrobate, était l'adoration des galeries supérieures qui, dès qu'elles apercevaient le bout de son nez, entraient en liesse. Et puisque je parle de nez, c'est précisément un danseur comique du nom de Spinoza, possesseur d'un appendice nasal rappelant celui de Polichinelle, qui eut particulièrement la tendresse du public. A cette époque, le début de la première danseuse avait une importance égale à celui du premier ténor : on se livrait à des batailles d'autant plus furieuses, que parfois un protecteur voulait imposer sa protégée au public, et enrégimentait pour la soutenir, des volontaires aux battoirs et à la poigne solides.

On voit que les divertissements ressemblent peu aux ballets qui ont passionné nos pères.

Pour quel motif le ballet a-t-il disparu ? Peut-être bien parce que nous sommes devenus un peu plus sérieux jusque dans nos plaisirs, et que la musique, écrite pour la circonstance,

paraîtrait d'un goût médiocre, maintenant que nous avons la prétention d'être des musiciens.

A Paris même, le ballet a fort décliné de sa splendeur. On en représente bien de loin en loin au Grand-Opéra, mais son succès tient surtout au luxe de la mise en scène, qui est d'ordinaire splendide, succès qu'on ne saurait espérer en province où un directeur ne peut s'imposer les dépenses nécessaires, préférant avec raison les reporter sur un grand opéra ayant peu de chance de faire des recettes. ;

Le public, a-t-on dit, et les flots sont changeants. En ce qui concerne le ballet, le public a changé du tout au tout, un simple divertissement lui suffit aujourd'hui ; il n'en demande pas davantage.

C'est dans une quinzaine de jours que s'ouvrira l'Exposition lyonnaise des beaux-arts, qui aura encore cette année l'heureuse chance d'être installée dans un pavillon situé sur la place Bellecour. Voilà un provisoire que les artistes seraient fort désireux de voir se continuer longtemps.

On dit bien qu'une Société, au capital d'un million, s'est constituée pour construire une salle d'exposition : mais comme voilà bien une trentaine d'années qu'on parle de ce projet, il est bon d'attendre pour croire à sa réalisation.

Les envois faits cette année au Salon s'élèvent au chiffre de quinze cents — peintures et sculptures — que le jury — ce qui n'est pas une sinécure — va avoir à examiner.

Un de mes confrères a annoncé que le nombre des statues sera beaucoup plus considérable que les années précédentes. Je le souhaite, car l'exposition de sculpture a toujours été à Lyon des plus médiocres. Les statues sont, d'ordinaire, en si petite quantité, qu'on ne pouvait songer à leur attribuer une salle spéciale, et qu'on les éparpillait dans le Salon, où elles jouaient un rôle de pure ornementation. Le public passait le plus souvent indifférent devant elles en y jetant à peine un regard distrait..

Il faut reconnaître du reste que le public lyonnais, dont l'éducation en peinture a été un peu faite par les expositions annuelles, est ■—■ j'ai pu m'en convaincre — fort ignorant en ce qui concerne la statuaire. Il n'y a pas lieu de s'en étonner, ce n'est qu'en voyant et en comparant que peu à peu on arrive à se former le goût et acquérir quelques connaissances : or, en fait de sculpture, il n'a encore rien vu : aussi comme on s'intéresse qu'aux choses qu'on connaît, les visiteurs du Salon ne prennent-ils

aucun intérêt à la statuaire. Il est fort à désirer que cette lacune dans nos expositions soit comblée.

Quels sont les artistes parisiens ou étrangers qui, cette année, ont fait des envois ? C'est là la question qui me paraît surtout intéressante, car ce sont les oeuvres de ces artistes qui constituent le véritable attrait de l'Exposition, car si, étant réduite aux simples tableaux de nos peintres lyonnais, elle manquerait un peu d'attrait.

Que les peintres lyonnais — parmi lesquels je compte de nombreux amis — ne prennent pas cette observation en mauvaise part. Ils admettront bien que, quelque bonne volonté qu'ils y mettent, que quel que soit leur talent, ils ne peuvent pas se renouveler chaque année : leurs toiles sont plus ou moins réussies, mais se ressemblent. C'est toujours — si excellent qu'il soit — le même pâté d'anguilles.

La curiosité à l'Exposition est surtout éveillée par les oeuvres des artistes parisiens qu'on ne connaît pas ou qu'on connaît peu ; ce sont eux qui attirent surtout les visiteurs, que nos peintres lyonnais doivent désirer être les plus nombreux possible. Ils n'ont pas à redouter — et je regrette d'avoir à employer ce vilain mot — la concurrence commerciale, car les tableaux des peintres parisiens sont en général hors de prix, aussi le bon bourgeois lyonnais — qui sait compter — se contente-t-il de les admirer sans les acheter, réservant ses préférences, dictées par une sage économie, pour les peintres lj-onnais. LUCIEN.

Contenu textuel de l'image : CAUSERIE
Contenu textuel de l'image : On a représenté la semaine dernière, au Grand-Théâtre, un agréable ballet, intitulé Callirhoé, dont on trouvera le compte rendu plus loin.
Contenu textuel de l'image : Une nouveauté, en fait de ballet, est aujourd'hui un événement si rare dans nos annales théâtrales, qu'il prend les proportions d'un événement.
Contenu textuel de l'image : Il y a une trentaine d'années, le ballet était en grande vogue à Lyon. Le personnel qui le composait était do beaucoup plus considérable qu'à l'heure présente, car il n'y a plus que ce qu'on appelle un divertissement, c'est à-dire un nombre assez limité de danseurs et de danseuses, exécutant quelques pas intercalés dans un opéra, comme intermède.
Contenu textuel de l'image : A l'époque dont je parle, un ballet avait volontiers quatre à cinq actes, et constituait à lui seul, parfois, tout le spectacle de la soirée.
Contenu textuel de l'image : C'est à cette époque que Joseph Luigini, le père d'Alexandre, qui, comme son fils, était chef d'orchestre, écrivit la musique d'un grand ballet intitulé La Loreley, dont un grave magistrat, mort depuis, n'avait pas dédaigné faire le scénario ; ce qui démontre que le genre chorégraphique un peu dédaigné de nos jours, était alors tenu en assez grande estime.
Contenu textuel de l'image : C'est surtout à l'époque ou Justamaut— qui depuis a conquis à Paris une certaine célébrité — dirigeait le bataillon des danseuses, que le ballet atteignit à son apogée,
Contenu textuel de l'image : Il menait son personnel en jupes courtes, au doigt et à l'oeil, ou plus exactement, à la cravache. ,11 arrivait en effet à la répétition, chaussé de bottes à l'écuyère et tenant à la main une cravache qui ne restait pas inactive, car elle cinglait vigoureusement la danseuse qui avait raté son pas, ou fait un faux mouvement. Ce procédé manquait certainement de galanterie, mais le résultat en était merveilleux, car aux représentations, il y avait dans les mouvements une précision qu'un colonel eût envié pour les hommes de son régiment.
Contenu textuel de l'image : Il est inutile de dire que les ballets étaient montés alors avec un luxe de décors et de costumes dont seule peut donner une idée la mise en scène actuelle des féeries.
Contenu textuel de l'image : Le public avait une telle passion pour la danse, que lorsque un opéra constituait le spectacle, la soirée se terminait toujours par un ballet en un acte, ballet comique en général, w"re qui a absolument disparu et dont le répertoire comptait quelques ouvrages amusants, tels que les Meuniers,les Conscrits espagnols la Fille mal gardée, etc.
Contenu textuel de l'image : Un ballet comique, intitulé le Déserteur — tiré d'une pièce de Sedaine — faisait invariablement partie de toute représentation du dimanche, donnait-on —ce qui est arrivé quelques fois — sept à huit actes, le public ne se retirait satisfait que s'il avait eu son ballet préféré.
Contenu textuel de l'image : Puisque il existait un ballet comique, il y avait, conséquence naturelle, un danseur comique ; ce danseur, qui devait être quelque peu acrobate, était l'adoration des galeries supérieures qui, dès qu'elles apercevaient le bout de son nez, entraient en liesse. Et puisque je parle de nez, c'est précisément un danseur comique du nom de Spinoza, possesseur d'un appendice nasal rappelant celui de Polichinelle, qui eut particulièrement la tendresse du public. A cette époque, le début de la première danseuse avait une importance égale à celui du premier ténor : on se livrait à des batailles d'autant plus furieuses, que parfois un protecteur voulait imposer sa protégée au public, et enrégimentait pour la soutenir, des volontaires aux battoirs et à la poigne solides.
Contenu textuel de l'image : On voit que les divertissements ressemblent peu aux ballets qui ont passionné nos pères.
Contenu textuel de l'image : Pour quel motif le ballet a-t-il disparu ? Peut-être bien parce que nous sommes devenus un peu plus sérieux jusque dans nos plaisirs, et que la musique, écrite pour la circonstance,
Contenu textuel de l'image : paraîtrait d'un goût médiocre, maintenant que nous avons la prétention d'être des musiciens.
Contenu textuel de l'image : A Paris même, le ballet a fort décliné de sa splendeur. On en représente bien de loin en loin au Grand-Opéra, mais son succès tient surtout au luxe de la mise en scène, qui est d'ordinaire splendide, succès qu'on ne saurait espérer en province où un directeur ne peut s'imposer les dépenses nécessaires, préférant avec raison les reporter sur un grand opéra ayant peu de chance de faire des recettes. ;
Contenu textuel de l'image : Le public, a-t-on dit, et les flots sont changeants. En ce qui concerne le ballet, le public a changé du tout au tout, un simple divertissement lui suffit aujourd'hui ; il n'en demande pas davantage.
Contenu textuel de l'image : C'est dans une quinzaine de jours que s'ouvrira l'Exposition lyonnaise des beaux-arts, qui aura encore cette année l'heureuse chance d'être installée dans un pavillon situé sur la place Bellecour. Voilà un provisoire que les artistes seraient fort désireux de voir se continuer longtemps.
Contenu textuel de l'image : On dit bien qu'une Société, au capital d'un million, s'est constituée pour construire une salle d'exposition : mais comme voilà bien une trentaine d'années qu'on parle de ce projet, il est bon d'attendre pour croire à sa réalisation.
Contenu textuel de l'image : Les envois faits cette année au Salon s'élèvent au chiffre de quinze cents — peintures et sculptures — que le jury — ce qui n'est pas une sinécure — va avoir à examiner.
Contenu textuel de l'image : Un de mes confrères a annoncé que le nombre des statues sera beaucoup plus considérable que les années précédentes. Je le souhaite, car l'exposition de sculpture a toujours été à Lyon des plus médiocres. Les statues sont, d'ordinaire, en si petite quantité, qu'on ne pouvait songer à leur attribuer une salle spéciale, et qu'on les éparpillait dans le Salon, où elles jouaient un rôle de pure ornementation. Le public passait le plus souvent indifférent devant elles en y jetant à peine un regard distrait..
Contenu textuel de l'image : Il faut reconnaître du reste que le public lyonnais, dont l'éducation en peinture a été un peu faite par les expositions annuelles, est ■—■ j'ai pu m'en convaincre — fort ignorant en ce qui concerne la statuaire. Il n'y a pas lieu de s'en étonner, ce n'est qu'en voyant et en comparant que peu à peu on arrive à se former le goût et acquérir quelques connaissances : or, en fait de sculpture, il n'a encore rien vu : aussi comme on s'intéresse qu'aux choses qu'on connaît, les visiteurs du Salon ne prennent-ils
Contenu textuel de l'image : aucun intérêt à la statuaire. Il est fort à désirer que cette lacune dans nos expositions soit comblée.
Contenu textuel de l'image : Quels sont les artistes parisiens ou étrangers qui, cette année, ont fait des envois ? C'est là la question qui me paraît surtout intéressante, car ce sont les oeuvres de ces artistes qui constituent le véritable attrait de l'Exposition, car si, étant réduite aux simples tableaux de nos peintres lyonnais, elle manquerait un peu d'attrait.
Contenu textuel de l'image : Que les peintres lyonnais — parmi lesquels je compte de nombreux amis — ne prennent pas cette observation en mauvaise part. Ils admettront bien que, quelque bonne volonté qu'ils y mettent, que quel que soit leur talent, ils ne peuvent pas se renouveler chaque année : leurs toiles sont plus ou moins réussies, mais se ressemblent. C'est toujours — si excellent qu'il soit — le même pâté d'anguilles.
Contenu textuel de l'image : La curiosité à l'Exposition est surtout éveillée par les oeuvres des artistes parisiens qu'on ne connaît pas ou qu'on connaît peu ; ce sont eux qui attirent surtout les visiteurs, que nos peintres lyonnais doivent désirer être les plus nombreux possible. Ils n'ont pas à redouter — et je regrette d'avoir à employer ce vilain mot — la concurrence commerciale, car les tableaux des peintres parisiens sont en général hors de prix, aussi le bon bourgeois lyonnais — qui sait compter — se contente-t-il de les admirer sans les acheter, réservant ses préférences, dictées par une sage économie, pour les peintres lj-onnais. LUCIEN.
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