LE DÉPART

Ce jourd'hui, 1" octobre 1886, nous prenons la mer.

Le Torpilleur va rouler au milieu des orages et des tempêtes, qui soulèvent si fréquemment les flots de l'océan social ; mais les hommes qui le montent sont, comme le navigateur d'Horace, cuirassés d'un triple airain, et fils des vieux Gaulois, ils ne redoutent que la chute du ciel sur leurs têtes.

Notre drapeau est aux couleurs de la France et de la République, et nous ne hisserons le pavillon rouge que dans les grands jours de la Patrie en danger, ainsi que l'arborèrent nos ancêtres de 92etde93.

Nous nous proposons de porter nos torpilles aux flancs des cuirassés de la Haute-Banque, des exploiteurs de monopole et de grandes Compagnies, qui, formidablement armés, le pavillon noir de la piraterie à la poupe, écument la société et s'enrichissent de la misère publique.

Ces flibustiers croisent sans cesse, avec d'innombrables suppôts, hommes d'affaires véreux, prêteurs sur gages, . agents de renseignements, et ils détiennent d'immenses usines, espèces de bagnes, où l'on fait peiner les prolétaires au sifflet et à la cloche! Quand les malheureux esclaves ont la poitrine suffisamment desséchée par le feu des fournaises ou les membres raidis par l'humidité des mines, on les rejette à la mer comme une pacotille encombrante et devenue inutile.

A l'eau, les cadavres, la caisse est pleine !

Dans leurs bureaux, ces bandits enferment de pauvres employés, avec une rémunération dérisoire, qui pourrissent sur des ronds de cuirs, manquant d'air, s'étiolant à la chaleur malsaine du gaz. Ceux-là font les comptes des maîtres, dressent les bilans, pendant que leurs joyeux patrons mangent chaud, boivent frais et courent la gueuse. Ces martyrs végètent ainsi jusqu'à la fin de leurs jours, et souvent dans les grandes compagnies on les chasse au moment où ils sont sur le point de toucher leur retraite , afin 'de ne pas leur donner ce morceau de pain si laborieusement acquis.

La société actuelle est donc divisée en deux catégories : les exploités et les exploiteurs.

Les exploiteurs sont tous rangés sous la bannière d'une féodalité financière,

nouvelle noblesse, qui, avec le concours d'un ramassis de gredins, met la misère en coupe réglée, et monopolise à son profit la fortune publique.

Cette féodalité peu nombreuse, mais disposant d'une nombreuse armée et de capitaux considérables, a mis la main sur les emprunts d'Etat, les chemins de fer, les mines, les canaux, les compagnies de navigation, les grandes industries et les magasins monstres, qui écrasent les petits commerçants, laminés encore par des escomptes élevés, dans les banques de ces voleurs. Puis, afin que rien n'échappe à ces trabouquères, ils embusquent leurs sous-ordres dans les monts-de-piété ; ils fondent, à côté de ces temples de l'usure, des maisons où l'on achète aux misérables affamés les reconnaissances des objets engagés, et où on leur arrache la dernière épave.

Ils ont songé à tout, même à tirer partie de la prostitution, dont ils sont les auteurs responsables par la misère qu'ils ont créée.

Ils ont des valets qui sont à l'affût des belles filles pouvant exciter la lubricité des jeunes gens de famille ; ils les meublent, leur prêtent des bijoux, des chevaux ; mais ils viennent toucher les bénéfices et prendre régulièrement les intérêts du capital avancé. Ils surveillent ces malheureuses, afin qu'elles ne puissent pas tricher, et lorsqu'on trouve qu'elles ont rapporté suffisamment et qu'elles se fanent, elles sont brutalement jetées dehors sans souci de savoir si elles n'iront pas échouer sur les dalles de la morgue.

Eh bien ! nous voulons faire la guerre à tous ces brigands, aux chefs de bande, comme à la race infecte qui les aide dans leur oeuvre de spoliation, et chaque fois que nous rencontrerons devant nous un de ces malandrins, nous le signalerons à l'indignation publique et nous serons avec les faibles contre les forts, avec les opprimés contre les oppresseurs, nous n'entendrons pas enfin, un cri de détresse, sans courir aussitôt au secours du citoyen injustement frappé.

Nous attaquerons en outre les administrations paperassières, qui, par des lenteurs calculées, des procédures, idiotes, entravent les affaires les plus urgentes et annulent les efforts de l'initiative privée.

Partout où il y aura oppression, nous attaquerons sans crainte et nous frapperons sans hésitation.

F. Ordinaire.

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Contenu textuel de l'image : Notre drapeau est aux couleurs de la France et de la République, et nous ne hisserons le pavillon rouge que dans les grands jours de la Patrie en danger, ainsi que l'arborèrent nos ancêtres de 92etde93.
Contenu textuel de l'image : Nous nous proposons de porter nos torpilles aux flancs des cuirassés de la Haute-Banque, des exploiteurs de monopole et de grandes Compagnies, qui, formidablement armés, le pavillon noir de la piraterie à la poupe, écument la société et s'enrichissent de la misère publique.
Contenu textuel de l'image : Ces flibustiers croisent sans cesse, avec d'innombrables suppôts, hommes d'affaires véreux, prêteurs sur gages, . agents de renseignements, et ils détiennent d'immenses usines, espèces de bagnes, où l'on fait peiner les prolétaires au sifflet et à la cloche! Quand les malheureux esclaves ont la poitrine suffisamment desséchée par le feu des fournaises ou les membres raidis par l'humidité des mines, on les rejette à la mer comme une pacotille encombrante et devenue inutile.
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Contenu textuel de l'image : Dans leurs bureaux, ces bandits enferment de pauvres employés, avec une rémunération dérisoire, qui pourrissent sur des ronds de cuirs, manquant d'air, s'étiolant à la chaleur malsaine du gaz. Ceux-là font les comptes des maîtres, dressent les bilans, pendant que leurs joyeux patrons mangent chaud, boivent frais et courent la gueuse. Ces martyrs végètent ainsi jusqu'à la fin de leurs jours, et souvent dans les grandes compagnies on les chasse au moment où ils sont sur le point de toucher leur retraite , afin 'de ne pas leur donner ce morceau de pain si laborieusement acquis.
Contenu textuel de l'image : La société actuelle est donc divisée en deux catégories : les exploités et les exploiteurs.
Contenu textuel de l'image : Les exploiteurs sont tous rangés sous la bannière d'une féodalité financière,
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Contenu textuel de l'image : Cette féodalité peu nombreuse, mais disposant d'une nombreuse armée et de capitaux considérables, a mis la main sur les emprunts d'Etat, les chemins de fer, les mines, les canaux, les compagnies de navigation, les grandes industries et les magasins monstres, qui écrasent les petits commerçants, laminés encore par des escomptes élevés, dans les banques de ces voleurs. Puis, afin que rien n'échappe à ces trabouquères, ils embusquent leurs sous-ordres dans les monts-de-piété ; ils fondent, à côté de ces temples de l'usure, des maisons où l'on achète aux misérables affamés les reconnaissances des objets engagés, et où on leur arrache la dernière épave.
Contenu textuel de l'image : Ils ont songé à tout, même à tirer partie de la prostitution, dont ils sont les auteurs responsables par la misère qu'ils ont créée.
Contenu textuel de l'image : Ils ont des valets qui sont à l'affût des belles filles pouvant exciter la lubricité des jeunes gens de famille ; ils les meublent, leur prêtent des bijoux, des chevaux ; mais ils viennent toucher les bénéfices et prendre régulièrement les intérêts du capital avancé. Ils surveillent ces malheureuses, afin qu'elles ne puissent pas tricher, et lorsqu'on trouve qu'elles ont rapporté suffisamment et qu'elles se fanent, elles sont brutalement jetées dehors sans souci de savoir si elles n'iront pas échouer sur les dalles de la morgue.
Contenu textuel de l'image : Eh bien ! nous voulons faire la guerre à tous ces brigands, aux chefs de bande, comme à la race infecte qui les aide dans leur oeuvre de spoliation, et chaque fois que nous rencontrerons devant nous un de ces malandrins, nous le signalerons à l'indignation publique et nous serons avec les faibles contre les forts, avec les opprimés contre les oppresseurs, nous n'entendrons pas enfin, un cri de détresse, sans courir aussitôt au secours du citoyen injustement frappé.
Contenu textuel de l'image : Nous attaquerons en outre les administrations paperassières, qui, par des lenteurs calculées, des procédures, idiotes, entravent les affaires les plus urgentes et annulent les efforts de l'initiative privée.
Contenu textuel de l'image : Partout où il y aura oppression, nous attaquerons sans crainte et nous frapperons sans hésitation.
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