Combien d'années se sont écoulées, sans que ce grand problème de ïextinction de la misère ait été résolu! Combien de promesses, de discours de nos hommes de presse et de tribune ont abasourdi les oreilles des victimes de l'ordre social actuel? Combien de papiers noircis par nos économistes ; de palliatifs mis en pratique par les entrepreneurs de réformes de tout acabit, sans que le moindre bienfait se soit fait sentir parmi la-classe des déshérités.
La Misère ! Qui de nous n'en a pas été la victime ?
Nous la voyons tous les jours se dessinant sous des formes plus hideuses que jamais
Lorsque la famille devient trop nombreuse, que le travail a manqué, par suite du chômage ou d'une grève entreprise contre la rapacité du patron ; que la neige couvre la terre, que le charbon avec lequel vous pouviez réchauffer vos échines engourdies par le froid et la faim est épuisé, quelles angoisses viennent torturer le prolétaire, logeant dans un taudis malsain, ouvert à toutes les intempéries, lorsque sa femme, accablée par les privations, par toutes les infirmités, conséquences fatales do la souffrance,ne peut offrir que ses larmes â son compagnon de misère.
Que, par suite de cette situation critique, il lui est impossible de rembourser ce qu'il a pu, dans un moment de gêne extrême, avoir emprunté ; que, sur une notification lugubre d'un huissier, on saisira ce qui lui appartient, parce qu'il n'a pu payer son propriétaire, ces meubles
qui ont coûté tant de fatigues, pour lesquels il a fallu se priver sur les besoins du ménage, seront vendus avec une cruauté sinistre pour le profit du monopoleur.
Allons ! travailleurs, n'y a-t-il pas assez d'iniquités dans cette société marâtre pour que vous leviez une bonne fois pour toutes le drapeau noir de la misère et de l'insurrection prolétarienne ?
Dans la République romaine, si la misère ne se montrait pas suppliante, elle savait s'agiter dans les émeutes. Entre les plébéiens et les patriciens (1) la guerre était continuelle, car la propriété terrienne ne cessait de se concentrer entre lés mains des Appicius.
Qu'arrivait-il alors? Les patriciens effrayés cherchaient à conjurer l'orage, en amusant, comme toujours, le peuple par de vainnes promesses. Lorsque le tumulte grossissait, ils l'apaisaient par des distributions gratuites de blé, d'huile, de légumes, et même on cédait parfois des lopins de terre à quelques pauvres favorisés.
Chez les Romains, trois classes formaient la population, les possesseurs ou patriciens, les non possesseurs ou guerriers et les esclaves. Les deux premières classes, ne produisant pas, constituaient la classe des oisifs, vivant au détriment des esclaves devenus producteurs!
Chez nous, comme chez les Romains, la majorité des producteurs est exploitée par une infime minorité appelée bourgeoisie, devenue la maîtresse de par la propriété qu'elle a accaparée. Sans passer en revue les diverses étapes de la société ancienne : le patriarchat, le régime des castes, le servage, la royauté nobiliaire, nous voyons la jacquerie qui sème la terreur d'un bout à l'autre delà France, brûle les châteaux seigneuriaux, pend ses propriétaires, etc., semant ainsi l'esprit de révolte, qui préparait la décapitation de la royauté du droit divin et de la féodalité.
Nous voyons la Révolution française de 1789 supprimer le servage, abolir les dîmes et redevances dues aux seigneurs, puis, les Etats généraux, poussés par l'impulsion de la multitude, décrètent, dans la nuit du 4 août, l'abolition de l'autocratie royale, et l'avènement de la bourgeoisie au pouvoir, et quoi qu'en disent nos historiens bourgeois, on s'entretient avec un enthousiasme peu réfléchi de cette génération de 89, des grandes réformes qui lurent opérées, du changement;des institutions : mensonge! mensonge!
Cette tourmente ne fut que le triomphe du Tiers-Etat, et le rétablissement de l'ancien régime, sous une autre forme. Une forme plus moderne, conforme à la spéculation, au progrès commercial et flibustier.
Nous nous apercevons, aujourd'hui, que les libertés politiques dont on nous berce depuis 80 ans, ne sont qu'un leurre. Que toutes les formes de gouvernement se succèdent les unes aux autres : Monarchie absolue ou de droit divin, constitutionnelle, République conser(1)
Ceux-ci, possesseurs de nombreux esclares, avaient monopolisées terres et les arts à leur profit, les esclaves, devenaient agriculteurs, et fournissaient à leurs maîtres une très grande production. (Extinction du Paupérisme, par le prince de Monaco)
vatrice, démocratique, sans changer l'état de choses dans lequel nous croupissons.
Beaucoup d'économistes, entre autres: Malthus, J.-B. Say, Bastiat et Garnier, attribuent ce malaise à l'accroissement de la population.
Ils cherchent à persuader au peuple la prudence du mariage, l'économie et le reste, ils concluent que la misère est une fatalité naturelle contre laquelle on ne peut rien.
Aujourd'hui, il est prouvé, par le progrès industriel, que, contrairement à la doctrine des économistes, les produits ont quadruplé et que la population n'a pas doublé.
Donc, le malaise ne peut être attribué à l'excès de population, et point n'est besoin pour cela d'enfanter des guerres pour rétablir l'équilibre.
Ces crises intenses, comme celle que nous traversons, sont dues â la surabondance des produits, et non à la politique, comme cherchent à le faire croire les politiciens de tout poil. Oui, la misère vient de la monopolisation des capitaux, du perfectionnement de l'outillage industriel, qui entraîne fatalement la concurrence, livrant ainsi la société aux mains du plus voleur ; et de ce progrès mécanique, qui fournit de plus forts dividendes aux capitalistes, il en découle une diminution de travail, et partant les chômages.
Donc, s'il y a élimination de travailleurs, il y aura diminution de consommation, engorgements de produits, nouveaux renvois d'ouvriers et nouvelles hécatombes de la faim. Dans tous les pays industriels, les mêmes causes engendrent les mêmes effets : concurrence illimitée, surproduction, encombrement, banqueroute, puis, quand un certain nombre sont morts sur le champ de bataille, ou décimés par la famine, le travail renaît avec plus de vigueur, jusqu'au moment où une crise nouvelle se reproduit, traînant à sa suite le même cortège de maux, de ruines et d'immoralité, A cette trop grande extension du machinisme créé par le système capitaliste, il y â un terme fatal, et c'est aux travailleurs d'y songer s'ils ne veulent rester à l'état de machine, ou de chair à canon; s'ils veulent enfin que les progrès de l'industrie ne se retournent plus contre eux.
Toutes les réformes ou palliatifs employés jusqu'à ce jour, depuis le saintsimonisme,les ateliers nationaux de Louis Blanc, jusqu'au suffrage universel de 48, n'ont fait qu'accélérer la marche du krack financier et industriel, et n'en déplaise â nos radicaux, qui crient à tuetête : le peuple est souverain, qui prétendent qu'il suffit de reviser la Constitution ou de renverser un ministère pour abréger le mal : La société actuelle est scindée en deux camps, celui des exploités et celui des exploiteurs, et, au point de
vue politique, il est matériellement impossible aux renégats du Palais-Bourbon de faire des lois contre leurs intérêts particuliers, car tous sont propriétaires, actionnaires de compagnies de chemins
de fer, ou présidents, vice-présidents, etc. de sociétés financières, et ces gens, qui, issus du suffrage universel, représentent le peuple souverain, n'en sont pas moins des exploiteurs !
Puis, qu'est-ce que la souveraineté? C'est, dit-on, le pouvoir de faire des loi? (1). Absurdité renouvelée du despotisme, avec la brutalité en moins et la tartuferie en plus.
Depuis quatre-vingts ans, on ne prêche que la réforme et on ne fait que des promesses qui ne sont jamais tenues. Peu importe, qu'on nous donne des libertés politiques illimitées. Est-ce que l'organisation économique de la société en sera amendée pour cela. Dans la pratique, n'importe quel Etat républicain, conservateur, radical même, est une blague monstrueuse, car il est le défenseur de la propriété, de laquelle dérive tout le mal; l'incarnation de l'autorité que nous voulons démolir. Ce qui entretient les préjugés, l'ignorance dans la masse, c'est toujours l'autoritarisme; le jour où les
travailleurs auront conscience de leurs forces, ils ne craindront plus de mettre leurs mains calleuses sur la sacro-sainte propriété.
Toute l'organisation hiérarchique du pouvoir: juges, gendarmes, soldats, policiers, députés, ministres, gens qui coûtent si cher, comme entretien, et si nuisibles comme besogne, disparaîtra alors
pour faire place nette à la liberté, au contrat libre.
Il suffit pour cela que nous n'allions plus nous faire casser la figure, pour n'importe quel genre de politiciens, et sachons bien que notre émancipation ne sortira pas d'une révolution ayant pour but de changer, la forme du gouvernement.
Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, dit un proverbe. Rien n'est plus vrai, surtout en ce qui concerne l'organe de M. Hébrard, sénateur. Il est juste de dire que ce sont ceux-là qui entendent le mieux ! Enfin, il a parlé, le Temps. Est-ce pour réfuter nos théories? Est-ce pour répondre à notre mise en demeure? Est-ce pour réduire à néant les assertions de nos articles?
On pourrait, en effet, le supposer. Mais, non, vous l'avez tous deviné, compagnons, c'est encore une fois de plus pour nous insulter. Vous direz que nous y sommes habitués. C'est vrai, une injure de plus ou de moins cela ne fait rien, et n'y paraît guèredans le nombre. Cependant une goutte d'eau fait déborder le vase. Le vase est-il plein, je ne saurais le dire : Le Temps ne le pense pas puisqu'il le droit de nous injurier à nouveau, mais il ne fait qu'injurier, et pas autre chose, puisqu'il ne peut nous contredire. Nous avions bien raison de dire dans notre dernier numéro que ces gens-là qui nous tombent sur le dos avec tant de haine ne sont que des incapables ! Vraiment le Temps, a atteint cette fois-ci le comble de l'ignorance, il ignore les choses qu'on lui met sous le nez! Faut-il, encore une fois, faire une petite réponse aux insanités nouvelles, corrigées et ■augmentées; de la grande feuille politicienne? Non, il y en a assez d'écrit sur son compte dans ce journal.
Relever quelques perfidies, quelques menaces, quelques grossièretés, doublées d'infamies et de mensonges, rien n'est plus excellent, mais nous en avons relevé assez pour l'instant et nous laisserons baver, à son aise, le grand canard parisien.
Ah! certes, malgré tout, nous aurions bien voulu discuter loyalement, sérieusement, scientifiquement, sans parti-pris de part et d'autre ; nous aurions voulu soulever une polémique ardente, sans doute, mais surtout sincère, efficace pour les doctrines en contradiction, et par conséquent une discussion « honnête, et sage », comme disent les polémistes parlementaires et juridiques ; nous étions prêts, quant à ce qui nous concerne, à entrer dans le débat avec la plus grande urbanité. On aurait pu croire que le Temps aurait accepté l'exposé réciproque des théories adverses, sans toutefois s'engager dans des controverses sans fin. Car, en somme, est-ce nous qui avons parlé tout d'abord de discussion contradictoire ! Non, c'est l'organe officieux du ministère actuel qui nous l'avait proposé, dans un moment de fausse bravoure ; et nous avions sans tarder-accepté le défi. (Voir les n°3 et 5.)
Il est inutile donc de continuer à s'entretenir des. élucubrations des bourgeoisgouvernants qui s'étalent sur les immenses feuillets du Temps. Nous avons remué assez ces ordures : ça pue !
(1) Qu'est-ce que la propriété, ch.I, p. 30, P. J. Proudhon,