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HISTOIRE D'UN CRIME 329 passant entre deux chasseurs qui, fidèles à la consigne rigoureuse de M. de Richepertuis, de ne tirer que le brocart, la laissèrent fuir. Et bientôt la chasse fut dans son plein. * * * La poursuite dura longtemps. Le chevreuil était fin, infatigable. Il croisait ses voies, accumulait retours et hourvaris. Il faisait des pointes, se relaissait pour laisser passer les chiens. Ceux-ci furent en défaut plusieurs fois. Ils firent change sur la voie de la chevrette, mais de lui-même le brocard revint se donner aux chiens pour les entraîner à sa poursuite. La pauvre bête voulait à tout prix sauver sa femme. Il était tard, le soleil dardait; j'avais grand'faim, tout étonné que M"e Hildegarde pût supporter une telle attente, toujours debout et aux aguets. Il y avait six heures que cela durait. Cette fille était de fer. Enfin, en vertu de l'axiome bien connu des chasseurs, que le chevreuil finit toujours par revenir au lancé, j'entendis la voix des chiens se rapprocher. Le chevreuil suivait la voie prévue. La pauvre bête était forcée. C'était lamentable. Est-ce bien là l'adorable créa- ture que j'avais vue le matin ? Souillé de fange, fourbu, il n'avait plus la force de courir. Je ne pouvais voir, mais je devinais les larmes de ses yeux. Les chiens étaient sur lui. Le plus robuste, le mieux créance, nommé Ravageot, horrible de rage et de méchanceté, gueule sanglante, des yeux d'assassin, le saisissait au même instant à la cuisse. Le chevreuil tombait. Je ne sais ce qui me traversa la tête. Une fumée d'indignation me passa devant les yeux. Ce fut plus fort que moi : instinctivement, sans même savoir ce que je faisais, j'ajustai non le chevreuil, mais Ravageot. Quoique je ne fusse pas un tireur émérite, n'ayant jamais chassé que des becfis dans le clos de mon oncle Cadet, à Caluire, je lui logeai fort proprement deux chevrotines dans le corps... 11 alla rouler à dçux mètres.,.