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PENSEES 407 allez ; votre galop s'accélère parla vitesse acquise ; et vous frappez à l'aveugle, d'estoc et de taille, à droite, à gauche, dessus, dessous, loin et près, à tort et à travers ! Qui se natterait de trouver grâce devant vous, homme implacable? Vous voulez même raison à tous, la vôtre; même caractère, même sentiment à tous, le vôtre, rien que le vôtre. Malheur à q;ù vous oppose un si, un mais, un sourire, un geste, un silence, vous l'immolez sur l'heure aux Furies. Aussi Molosse votre aspect terrorise. Les mères vous apercevant venir se sauvent éperdues ; et les petits enfants apeurés prennent la fuite, en pleurant et criant : « Croquemitaine !... » * Un brin d'herbe venu parmi le sable, penche vers le ruisseau ; et chaque flot, en passant, secoue le brin d'herbe qui tombe, et se relève pour tomber encore... Ce brin d'herbe, c'est l'homme, que le flot de la vie agite, et que tour à tour l'épreuve incline et l'espérance redresse. Le brin d'herbe cède peu à peu à la vague ; et chaque fois re- tombant plus bas, remonte plus haut. L'onde l'attire, l'arrache enfin, et l'emporte. Ainsi, l'homme, ce brin d'herbe, ahane, en attendant qu'il suc- combe. Cette eau rapide, qui s'appelle le temps, le ballotte, le déracine, et le précipite vers l'océan de l'éternité. * Le facteur rural (1811). Citadins, accoutumés aux gâteries de la poste qui vous choie à toutes heures, vous ne soupçonnez point la grande place que le facteur rural tient dans notre exis- tence, à nous, campagnards ; combien il est attendu avec impa- tience, et salué avec émotion; quand, une fois par jour, il frappe à notre porte, (un bâton à la main, coiffé de la casquette régle- mentaire, vêtu d'une blouse bleue,) fouillant dans ce sac de cuir qui porte tant de secrets. L'on s'inquiète et l'on espère tandis qu'on est jeune. L'on croit encore aux longs souvenirs, aux chances prospères : « Je puis