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             LETTRES DE BERNARD DE LA MONNOYE                                           13



                                           X
                                                             A Paris le 16 août 1720.
   Vous ne pouvez pas, mon cher fils, ignorer l'état présent du Royaume. Ce n'est
plus en argent ni en or que se font les payemens, c'est en billets de banque. C'est
en cette monnoie que j ' a i été généralement remboursé de tout ce qui m'étoit du *,
tant en Bourgogne qu'ici, en sorte que M r Petitot n'ayant plus rien à recevoir
en mon nom, il n'y a plus actuellement de commerce entre lui et moi. C'est ce
qu'il n'auroit pas manqué de vous faire savoir si vous lui aviez écrit. De mon côté
je n'ai eu garde de l'inviter à vous faire tenir les dix huit francs dont vous me
parlez, sachant bien que comme je ne pourrois les lui rendre, il ne pourroit
aussi, ou du moins il ne seroit pas obligé de vous les avancer. J'aurois bien pris
le parti de vous écrire à Bar-sur Aube si j'avois été sur que ma lettre vous y
eut trouvé, mais comme nonobstant les six calotes que votre frère vous a envoyées
vous ne preniez pas soin de lui donner de vos nouvelles, j'attendois toujours le
moment qu'il vous plairoit de m'en apprendre. Votre lettre du 13 e de ce mois
venant de m'être rendue, j ' y fais réponse à l'heure même bien fâché de ne pou-
voir, comme par le passé, vous payer désormais vos pensions en autre espèce
qu'en papier. La pure vérité est que je n'ai pour tout bien que des billets de
banque de cent francs. Sur quoi voici ce que j ' a i à vous proposer, c'est de vous
augmenter annuellement de quatre livres votre pension qui par ce moyen sera de
quarante livres au lieu qu'elle n'étoit que de trente siz. En conséquence je vous
ferai tenir par la poste un billet de cent livres, et sur ce pied là vous recevrez
non seulement vingt livres pour les siz derniers mois de cette année, mais de
plus quatre vingt livres d'avance, savoir quarante livres pour l'année 1721 et autres
quarante livres pour l'année 1722. Je souhaite que cette proposition puisse vous
accommoder. Tout ce que je puis vous dire c'est que je suis absolument hors d'état
de vous en faire une autre. Si vous saviez la misère dans laquelle nous vivons
depuis trois mois votre mère, moi et le reste de la famille, vous trouveriez
votre sort de beaucoup préférable au nôtre. Vous savez comme j'en ai usé
envers vous quand les tems ont été moins difficiles; soyez persuadé que lorsqu'ils
deviendront meilleurs je me ferai un plaisir de vous donner tout le contentement
possible. C'est de quoi vous assure, mon cher fils, votre très affectionné père.
                                                       DE LA MONNOYE.

  Votre mère, votre frère et son épouse vous embrassent, Si vous acceptez le


   * En quittant Dijon, La Monnoye avait vendu tous ses fonds et les avait convertis
en rentes sur l'État. Il jouissait d'une existence honorable lorsqu'en 1719 le Gouverne-
ment, adoptant le trop fameux système de Law, remboursa en papier tout les créan-
ciers de l'État. Ceux-ci furent ruinés par la dépréciation ' des billets émis pour une
valeur énorme et La Monnoye fut du nombre. Pour vivre, il fut obligé de vendre
les prix que lui avait donnés l'Académie française et composa à ce sujet le distique
suivant :
                 Laitrum aurumque tuli, felivis prxrnia venie.
                   Aurum Rex repetit. Laurea sola munet.