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TROIS MOIS A VENISE 375 d'une excellente musique, deux mille masques dansent, sautent à qui mieux mieux. L'entrée de la plate-forme coûte cinquante cen- times. Tout autour, sous les arcades de la place Saint-Marc, une foule compacte, masquée, circule gaiement. Les dames plaisantent les signori(messieurs), leur offrent des cigares, des fruits, et, de son côté, la plus vilaine moitié du genre humain distribue (toujours masquée) des fleurs et des fruits aux dames. Des groupes de musiciens parcourent la place, jouent l'air célèbre du Carnaval de Venise ; cet air dontPaganini tirait un parti sur- prenant sur son violon diabolique. Il y a aussi deux bals masqués; l'un au théâtre Goldoni ; l'autre à la salle de YAntico ridotto. Minuit arrive; le bourdon du campanile tinte à sons précipités. La foule se retire avec un ordre admirable en chantant : « Dan ! dan ! dan! le carnaval s'en va 1 . » J'avais oublié de dire que, pendant la journée du Mardi-Gras, unecalvacade assez originale a lieu au jardin des plantes. On y voit le roi du carnaval, Pantalone, et toute sa suite de pages et de serviteurs. Pantalone harangue la foule ; lui vante les joies du car- naval, le roi, la reine, sans oublier Garibaldi On ne ferait jamais assez l'éloge du peuple vénitien. Les avocats se plaignent du manque d'affaires. De mémoire d'homme, on n'a trouvé, dans les canaux de la ville, un cadavre jeté par la main d'un criminel; et, cependant, ily abeaucoup de misère à Venise, de cette misère qui saigne le cœur. La majorité de la population est pauvre. Vous trouvez sur les ponts, le soir, bien des mal- heureux. Voici une historiette qui prouve, du reste, le caractère vé- nitien : Aux siècles écoulés, un boulanger fut accusé d'un crime et pendu. Après sa mort, on reconnut son innocence. Eh bien! la justice des doges décida qu'à l'avenir deux lampes brûleraient à la façade de l'église Saint-Marc, en expiation. J'ai vu ces deux lampes, dont les feux brillent chaque soir. Citons encore cette autre anecdote : Un chevalier vénitien se 1 Bu Italie, on cite comme très beau encore, le carnaval de Milan ; surtout les der- niers jours gras. A Rome, il est moins conservé, quoique en favsurdans le Corso.