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168                  LA R E V U E LYONNAISE
mesure les allumettes, d'un petit souffle court, avec un sourire,
une habitude qu'elle a prise.
   Suivant le vent qui souffle, venant de la ville ou du torrent, des
bruits confus, indistincts, plus ou moins fondus, nous arrivent,
rumeurs incertaines, bruissements des arbres, craquements des
branches, frôlements inquiétants du feuillage. Et il y des instants
de frayeur instinctive où Clairette se redresse, pâle dans un rayon
de lune, et un moment où elle se presse plus fort contre moi.
   Les sommets, sur lesquels la lune semble courir, s'éclairent de
pâles lueurs, se dessinent en lignes noires dans la nuit limpide.
   Minuit sonne. Avec des sons doux et lointains, — la voix grêle
d'une très vieille horloge, — les douze coups tintent lentement,
l'un après l'autre. Quand le dernier a sonné, vite il faut partir.
J'embrasse Clairette rapidement, sur le front, dans les cheveux,
où ses mains qui se défendent m'en laissent la place, et je redescends
à la route, tandis que, debout, elle me dit adieu avec sa voix douce
de petite fille
    Et, avant de me coucher, je fume longtemps à ma fenêtre, rêvant,
repassant eu moi-même les simples voluptés qu'a eues la soirée, et
mes yeux s'oublient à regarder le petit cimetière qui dort là, en
 face de moi, au flanc de la montagne, à la pleine clarté de la lune.
 Les tombes blanches brillent et paraissent des morceaux d'argent
 dans la nuit claire, et je distingue sur les pierres les ombres que
font les bras des grandes croix. Et je me dis qu'avant qu'il soit
longtemps ma belle Clairette dormira là, pour toujours, à la lune
ou au soleil, sous une de ces pierres blanches, au flanc de ces mon-
 tagnes qui, elles, ne changeront pas.
    Et, alors, moi-même, apès les hasards plus ou moins longs de
 ma vie incertaine, — après combien d'autres amours peut-être et
 combien d'autre; blessures! — qui sait dans quel coin de terre
 et sous quel ciel lointain je dormirai, oublieux de Clairette?
    Et j'ai envie de pleurer en songeant à ces choses.


                                              Mardi, 19 juin.

  Il faisait d'affreux temps sombres ces derniers jours. Avec ces
hautes montagnes noires et ces gros nuages par-dessus nous étions