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162 LA REVUE LYONNAISE lentement, le long du torrent qui semble courir sur des dalles de marbre blanc, je regagne la ville. Très flattés d'une pratique de mon importance et désireux peut- être de se faire une amie de ma puissance judiciaire, les parents se gardent de se mettre en tiers. Si je voulais, sans doute, ils me la vendraient bien pour quelques louis. Pauvre petite, je ne veux rien d'elle, — rien que la regarder parce que je la trouve jolie, — ainsi que je regarde les délicates fleurettes de montagne que je rencontre en mes promenades. D'abord, à la moindre de mes hardiesses, quand je prenais sa main, elle avait de grandes frayeurs. A présent elle se rassure, et nous sommes devenus grands amis depuis hier. Je lui apprends l'italien, je l'appelle Sorella, —petite sœur. Clairette, — un prénom populaire, et une fille de race, une fille d'Orient'. Les yeux sombres de cette petite Clairette ont je ne sais quoi de lumineux, d'étoile, de particulier aux races chaldéennes et qui lui donne un charme tout oriental, quelque chose d'indéfinissable, d'é- trangement troublant, — de ce que Fromentin a appelé « Fénigma- tique et mortel regard des Jocondes. » Ses joues sont plus que brunes, dorées par le soleil, et ses cheveux très noirs couvrent très bas son front et détachent son pur profil biblique. Elle a je ne sais quelle grâce étrange, lointaine, le charme unique des races juives. Elle est née ici, dans ces montagnes. Par quel mystère d'atavisme ces parents du crû ont-ils engendré cette beauté sémitique? M e r c r e d i , 23mai. Audiences, expéditions d'affaires, réquisitoires. Tout le train d'un Parquet occupé. Je suis seul, je n'ai pas de Substitut,— on attend, pour le nommer ou non, la loi qui s'élabore, cette fameuse loi de la Réforme judiciaire. Peu à peu je me fais à ma tâche. Un temps très couvert, très sombre, très lourd, avec un peu de pluie d'orage. Les amoncellements de pierres grises ont des aspects sinistres sous ce ciel morne. A sept heures, mon courrier est ter- miné. Dîné bien vite pour aller rejoindre Clairette aux Ranchisses. Clairette reste d'abord longtemps étendue sur le banc, la tête baissée, faisant semblant de dormir. Et je sens son cœur battre très