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128 LA REVUE LYONNAISE était accolée une estampe qui représentait Antonine, femme de Bélisaire. Elle ne tarissait pas en imprécations contre les despotes. Ali! que c'est beau, répétait sans cesse la portière, que c'est bien dit et que c'est vrai ! elle assaisonnait ses exclamations de récits et d'anecdotes des jours et des temps passés contre la cour et les nobles. On voit que nos conversations étaient à un autre diapason que celles qui se tenaient en haut, au salon. Mon interlocutrice était un spécimen de la classe des portières, une des plus infestées de l'esprit révolutionnaire. Elle était l'écho de tous les mauvais bruits et un extrait vivant de tous les mauvais livres auxquels elle croyait bien plus qu'à l'Évangile. Elle me dit un jour : Tu vois bien, cette coquine de reine ! c'est elle qui a volé le collier ! Les événements marchaient, et, en dépit de l'optimisme invétéré de beaucoup de gens, y compris mon oncle, on commença à s'in- quiéter sérieusement, du moins pour le moment présent; chacun s'attendait à être arrêté, si ce n'était le jour même, au moins le lendemain. La loi des suspects, décrétée depuis peu, était une arme formidable mise aux mains du premier venu. Il fallut donc se mettre en mesure de fuir ou de se cacher à la première alerte, et, pour cela, simplifier sa propre position autant que possible. La pré- sence d'un garçon de mon âge ne pouvait être qu'un embarras pour mon oncle, sans utilité pour moi-même; c'est ce qui le détermina à m'écarterde Paris. On pensa au Châtelet où M. Bourgeon, jeune encore et très dévoué à notre famille, de laquelle il avait été pro- tégé, avait un oncle, curé à peu de distance de Paris, dans un village appelé Coignières, situé entre Versailles et Rambouillet. Ce fut l'homme aux soins duquel je fus confié provisoirement, et quand, en partant, je dis adieu à mon oncle, cet adieu fut le der- nier! Je ne le prévoyais pas dans ce moment-là , ou je ne voulais pas me l'avouer ; ce ne fat pas cependant sans une émotion sensible que je me séparai de ce bon parent en qui je voyais un second père. Sa mémoire n'est jamais sortie de mon coeur ! Je ne me sou- viens plus comment je fus remis au curé: je me vois seulement installé dans son presbytère, entre lui et sa nièce, nommée MmeBa- nel ; elle approchait de la quarantaine, laide et boiteuse ; mais d'une laideur spirituelle et d'un très bon cœur. Son oncle, M. Courtois, ne m'a pas laissé la même impression. Il était froid,