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BIBLIOGRAPHIE 6C5 était bien la ville de mes rêves et tout ce que je m'en était figuré se trouva encore au-dessous de ce qu'elle m'apparut, et le matin et le soir, et par le calme des beaux jours et par le sombre reflet des orages. J'aimai cette ville pour elle-même et c'est la seule au monde que je puisse aimer ainsi, car une ville m'a toujours fait l'effet d'une prison. A Venise on vivrait longtemps seul et l'on com- prend qu'au jour de sa splendeur et de sa liberté, ses enfants l'aient presque personnifiée dans leur amour et l'aient chérie, non pas comme une chose, mais comme un être. » A la suite de ces pages charmantes, M. Bournet s'est plu à nous donner aussi une excellente étude sur les Vénitiennes des temps passés et qui brillèrent plus par leur rare beauté que par la sévérité de leurs mœurs. Enfin l'auteur termine son beau livre par une étude non moins réussie sur les peintres Vénitiens, dont Léopold Robert a pu dire avec tant de justesse. « Il faut être à Venise pour se faire une idée de l'exécution savamment hardie de l'École Vénitienne, de sa prodigieuse puissance de composition, de toutes les richesses et de tous les prestiges de ses couleurs. A Venise seulement, on apprend à con- naître Titien, Véronèse et Tintoret. » Je ne dirai pas le succès qu'a eu dans le monde littéraire cette belle publication do M. Bournet; on y a applaudi de tous côtés. Il pouvait se reposer comme le soldat après le combat, mais ce serait mal connaître ce jeune et infatiguable écri- vain, et à peine a-t-il achevé son Venise qu'il réparait sur la scène avec Rome. Un penseur, comme M. Bournet, et qui possède à un si haut degré aussi le sen- timent de l'art dans ses multiples branches, ne peuvent qu'être tenté de voir, de décrire cette ancienne reine du monde toujours noble et belle malgré ses i m - menses infortunes. Comme il l'a si bien dit : « Rome est la ville par excellence, la ville d'où nous vient notre civilisation, nos croyances, notre littérature et notre art, aussi nul ne peut-il froidement prononcer ce nom. Pour le poète et pour l'artiste. Rome est la patrie des âmes blessées, la noble institutrice du beau, la cité qui console de tout ce qu'elle a tant souffert ; pour le croyant, c'est la ville sainte, la Mecque catholique où siège le vicaire de Dieu ; pour tout homme qui sent et pense, Rome est une chose sacrée qu'il faut visiter à part et religieuse- ment. » • • En écrivant son livre sur Rome, M. Bournet a suivi le même plan que celui qu'il avait adopté pour son Venise et ce plan est excellent. A ses appréciations personnelles sur la Ville éternelle, il a joint celles des plus illustres voyageurs qui l'ont visitée à toutes les époques, et qui en ont tracé dans leurs œuvres une immortelle image. Aux xvi, xvn, xvm e s siècles, ce furent entre autres Rabelais, Montaigne, l'Hôpital, Joachim du Bellay, Milton, Balzac Voiture, Addisson, Th. Gray, Buffon, Duclos, Montesquieu, de Brosses, Vinkermann, Gœthe, le cardinal de Bernis, P . - L . Courier. M. Bournet pouvait aussi remonter au- delà de ces illustres voyageurs et nous redire les impressions de bien d'autres pèlerins antérieurs à ceux qu'il a consultés, mais il a fait cette juste remarque « qu'ils y avaient apporté rarement cette admiration réfléchie qui unit la spience à la philosophie. Les deux visages, les deux âmes, les deux pensées de la grande nécropole des nations le plus souvent leur échappaient. Ce n'est qu'à partir du xvi e siècle que nous y trouvons des hommes venus avec les mêmes pensées que les nôtres. » Mais, parmi les visiteurs du dernier siècle, il en est un qui n'a pu écrire que de bien tristes pages à la vue de ce sanctuaire des arts qu'il avait vu un moment si riche, si resplendissant de beautés sans pareilles, souillé, profané