Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
[ Revenir aux résultats de la recherche ]
page suivante »
      UN CONTEUR MODERNE : GUY DE MAUPASSANT                                  569
soldatesque brandit un sabre et fait cliqueter des éperons, où une
fille se venge par le poignard, traîtreusement. Une vendetta encore,
une vendetta du pays normand !
    Les pages sont fortes cependant, sensées et nerveuses. La cou-
leur éclate et le tableau s'imprime. Les Prussiens y sont des brutes
alourdies d'alcool, faisant craquer leur pesant uniforme dans un
roulis lassé d'épaules, bâillant, fumant, crachant des paroles
obscènes dans le cou de filles à soldats. Mademoisslle Fin, le coquet
et musard sous-lieutenant qui se réjouit de voir sauter sous un
grain de poudre les potiches et les objets d'art du château d'Urville,
et qui appelle cela « faire la mine » est d'une jolie invention. Il
est la ligne délicate, la figurine en saillie, dans cette haute salle à ta-
pisseries crevées, autour de cette table massive chargée d'un souper
de Gamache, dans cet état-major prussien, écrasé sur sa chaise, gorgé
dekirschwasser, aux torses de Goliaths abrutis, et aux muscles de
tueurs d'hommes. Et, malgré cette carrure apparente de la nou-
 velle, cette poussée jeune et drue de sève littéraire, par là-dessous
 il filtre un faux romanesque.
  Rachel, une fille rageuse aplantédans la gorge de Mademoiselle
Fin son couteau à dessert. Mademoiselle Fin chancelle et râle là,
sous la table. Rachel saute par la fenêtre et s'enfuit... L'état-major
détache un escadron à sa poursuite... Mais Rachel s'est cachée dans
leclocherdu village..., les Prussiens font buisson creux.

   Elle resta dans le clocher jusqu'au départ des troupes allemandes. Puis un soir
le curé ayant emprunté le char-à-bancs du boulanger, conduisit lui-même sa
prisonnière jusqu'à la porte de Rouen. Arrivé là, le prêtre l'embrassa; elle
descendit et regagna vivement à. pied le logis public dont la patronne la croyait
morte.
  Elle en fut tirée quelque temps après par un patriote sans préjugés, qui l'aima
pour sa belle action, puis l'ayant ensuite chérie pour elle-même, l'épousa, en fit
une Dame qui valut autant que beaucoup d'autres.


   Il y a presque une morale!... un souhait philanthropique, une
sentence à la Dumas fils! Est-il drôle, ce patriote sans préjugés!...
Une bonne épouse, cette petite Rachel!... Elle avait pourtant bien
rôti le balai!
   Saint Antoine,   Une Ruse, Un Normand', Farce           Normande
sont des nouvelles de même vigueur et de même éclat. Les terres
      DÉCEMBRE 1883. — T. V [ .                                        37