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•550 LA REVUE LYONNAISE
Un peu plus d'un an après, clans une grande ville d'Espagne, voisine
de notre frontière, une ménagerie s'installait, provoquant à grand
renfort d'affiches la curiosité des habitants. Elles annonçaient entre
autres merveilles inédites les exercices d'un couple délions:.« Sidi
et Sultana », dressés par deux dompteurs nègres ; « Ali et Coco;.»
Pas un lecteur français ne sera surpris d'apprendre que ce dernier
ressemblait à notre homme, de façon à se confondre avec lui.
Malgré son infirmité, il jouait à saute-mouton avec les fauves,
leur caressait la crinière, introduisait en souriant sa tête dans
leurs gueules et recommençait le lendemain, entre les applaudisse-
ments du public dont il était l'idole et les caresses de l'impressario
dont il faisait la fortune.
Un soir, on put remarquer qu'il ne souriait pas et, que de ses
yeux blancs et jaunes une lueur étrange, lueur de colère et de
haine s'échappait; il venait de reconnaître au premier rang des
spectateurs l'aimable baron Von Schlaguen, Von Schlaguen lui-
même, que les hasards de sa carrière attachaient pour l'instant,
comme conseiller militaire et chargé de surveiller la France, au
consulat prussien de l'endroit. Il y eut dès lors entre les deux
, nègres des colloques fréquents en langue sénégalienne, ils se p r o -
menèrent volontiers, les ténèbres venues, aux environs de la
petite maison très retirée qu'habitait le personnage et où la
chronique scandaleuse l'accusait de recevoir des Manolas de
moeurs peu austères. Une nuit que le vent et la pluie faisaient
rage, la porte de cette maison s'ouvrit sans bruit et donna passage
à deux ombres qui repartirent l'instant d'après, portant à bras
une forme humaine en chemise, bâillonnée et ficelée avec art.
Elles la mirent dans une brouette qui attendait sous un hangar,
la couvrirent de paille et traînèrentle tout jusqu'à la ménagerie. Si
quelque amateur avait pu entrer à ce moment, il aurait assisté Ã
une représentation vraiment extraordinaire. A la lueur d'une lan-
terne sourde, les deux nègres déficelèrent la forme humaine, lui
laissant le bâillon et la jetèrent muette et pantelante dans la cage
aux lions, Ã jeun depuis le matin avec ces mots d'introduction :
« Sidi, Sultana, chacal Prissien ! » On a beau avoir cueilli sa
part de lauriers en commandant sur le champ de bataille le tir Ã
2,000 mètres, on a beau avoir vaillamment abattu.d'un coup de