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508 LA REVUE LYONNAISE un peuple religieux ; c'est pourquoi facere signifiait, sacrifier, faire l'action par excellence. Chez les Grecs, peuple poète et artiste TTOIEW voulait dire une autre action précellente : inventer, imaginer, poétiser. » En sanskrit, le verbe kar signifie « faire » et « sacrifier » ; il en est de même de pl^iv en grec. La conclusion de M. Roux est donc trop large ou trop étroite : trop large si, comme il le semble bien, cette dualité significative est constante et tient à une autre cause que celle indiquée par M. Roux ; trop étroite, puisqu'elle devrait s'étendre aux Hindous et aux Grecs, d'après la thèse même de l'auteur. Ajoutons que, dans le grec iroi^v, le sens d'inventer est tout à fait secondaire, et qu'on ne saurait en induire quoi que ce soit sur les facultés artistiques des Hellènes. Je suis heureux de pouvoir terminer ces censures en constatant qu'en telles matières le sens critique ne fait pourtant pas toujours défaut à M. Roux. Il montre très justement l'insuffisance, pour ne pas dire l'absurdité, de différentes étymologies qu'on a proposées pour le mot latin luscinia « rossignol »: lucus canere, «chanter dans le bois » ; lux canere, « chanter au jour », etc. Il termine l'exposé de ses doutes par la question : « D'où vient luscinia? » On peut y faire, je crois, une réponse sinon certaine, du moins plausible. Luscinia contient, selon toute vraisemblance, une racine lusc, pour glusc (par suite de la perte de l'initiale) qui se trouve en sanskrit sous la forme kruç, « crier », ainsi que dans le grec yÀcossx, pour yXaxwa, «la langue; celle qui crie, parle »,le latin glo- cio, pour gloscio, « glousser», etc. S'étonnera-t-on d'une origine aussi vulgaire pour un mot aussi poétique ? On aurait bien tort. Toute Heur vient d'un bouton. A un autre point de vue, rien n'est complexe à l'origine ; et abstraction faite de l'absence d'études spéciales, c'est pour vouloir chercher de mystérieux rapports dans des choses qui ont, commencé par êlre simples et claires qu'on aboutit à tant de conceptions bizarres et inexactes dans le domaine étymologique. Agréez, etc. P.REGNAUD.