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SOUVENIRS D'ALGER 455 ces noms bibliques qu'ils se renvoient à chaque phrase dans leur jargon hébraïco -arabe frappent l'oreille d'étonnement ; ils font à la mienne, je ne sais trop pourquoi, comme un bruit de clochettes fêlées dans un désert très lointain. Leurs noms de famille sont par- fois sinistres : « Lolljuf, Maklouf, Chiche, Portiche, Mesguiche, » on croirait y voir l'indication de quelque métier inavouable. Ils ne sont pas belliqueux, oh ! non, et ne prennent guère l'initiative des querelles que s'ils se sentent au moins dix contre un ; malgré cela, peut-être à cause de cela, ils ont 'a manie de déguiser leur progé- niture masculine en mousses et en enfants de troupes. Etranges, étranges, ces figures de scrofuleux ullra-placides, figées en gouttes de suif, sous des képis et des chapeaux cirés où sont écrits en lettres d'or: Le Téméraire, Le Glorieux, L'Invincible. C'est à pleu- rer ! Témérité, gloire, victoire ! eh bien, non ! voyez-vous, bon s Juifs, vous n'avez jamais eu, vous n'aurez jamais ça en magasin- Ce qu'ils ont, tout lemonde lésait, des marchandises quelconques, des étoffes, des confections, des curiosités, des vieilleries qu'ils s'ingénient à transformer en argent liquide pour en alimenter aussitôt leur vrai commerce, l'usure. Et remarquez qu'ils s'ar- rangent pour ne faire aucune avance, pour n'y être, comme on dit, jamais du leur. Le mécanisme est aussi simple qu'ingénieux. Un Juif débutant, un Eliacin, débarque en France plus ou moins recommandé et cautionné par des cocirconcis déjà vieux dans le crime, achète n'importe quoi d'un débit courant, à six mois de terme, revient le vendre en Algérie, au-dessous du cours, s'il le faut, et s'empresse de placer le produit à 25,50,100 0/0, moyennant garan- ties solides, entre les mains éternellement tendues d'Arabes ruinés par la sécheresse et la paresse. Les garanties finissent toujours par lui rester, vous voyez d'ici le bénéfice. Ni charpentiers, ni maçons, ni architectes, ni agriculteurs, ni artistes, ni producteurs de quoi que ce soit parmi eux, tous commerçants et usuriers ; ils rôdent aux abords des agences louches où se préparent les basses œuvres de la cuisine judiciaire et conduisent les mouches dans la toile, moyennant une part de proie. Quand la première pelote est faite, ils deviennent banquiers et s'appellent «Israélites ». Leur sobriété égale celle du chameau. Ils savent commander à leurs passions quand elles coûtent trop cher, jouer en virtuoses.de la