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                         BELLEFONTAINE                              361
procédé. Dès qu'il eut franchi les portes du monastère, on se forma
en procession et l'on se dirigea vers la chapelle. Tous les regards
étaient anxieusement fixés sur le vélum qui dérobait encore la
fresque à l'admiration générale, les respirations haletaient. Le
moment solennel arrive, le voile tombe et           un cri d'horreur et
d'indicible stupéfaction ébranle les voûtes du temple.
    Que s'était—il donc passé ? Le peintre avait fait merveille : dessin
et couleur étaient irréprochables. Le sujet, qui était le crucifiement
du Sauveur, était admirablement traité. Seulement le Christ était
représenté dans une attitude toute différente de celle qu'on lui
donne habituellement : rompant avec la tradition universelle, le
rapin l'avait mis à rebours, le visage collé au bois de la croix, de
sorte que le divin Crucifié tournait le dos à l'assistance.
    Les pauvres sœurs étaient atterrées : seul, le prélat qui avait
compris, réprimait à grand peine une forte envie de rire.
    « Qu'on fasse venir le peintre », dit-il.
    Un exprès fut détaché à l'auberge et ne tarda pas à revenir
escorté de l'artiste qui attendait avec une joie maligne le résultat
de sa mystification. Le rapide coup d'œil qu'il jeta en entrant sur
l'assemblée lui fit clairement voir qu'il avait réussi mieux encore
qu'il n'eût osé l'espérer. Sans rien laisser paraître, il s'avance, et
à l'aspect de son oeuvre, s'arrête soudainement comme pétrifié.
On l'eût dit cloué en place par une vision surnaturelle. Les regards
étaient tournés sur lui comme un formidable point d'interroga-
tion. La situation était des plus tendues.
    Tout d'un coup la lumière semble se faire dans son intelligence.
Il se frappe le front.
    « C'est cela! Eh oui! c'est certainement cela ! J'y suis! s'écria-
 t-il.
    — Eh bien ! Monsieur parlez! qu'y a-t-il ?... que signifie ?....
 comment expliquez-vous ?...
    — Voilà : c'est bien simple. Depuis quelques jours je ne man-
geais que des oignons crus. Après dîner, je me remettais immé-
 diatement au travail. Vous comprenez.... l'odeur aura sans doute
 déplu aux narines divines, et pour l'éviter, mon Christ se sera
 détourné ».
    On devine comment finit l'aventure. Le peintre fut prié de ter-