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246                   LA R E V U E LYONNAISE
 du sien. Je dois avouer qu'il resta jusqu'au soir à guetter le retour
 de la charmante apparition, mais en vain.
   Deux ou trois jours après M"e Marjolet l'aborda de nouveau
comme il revenait de l'usine. Cette ibis Guy se sentait tout disposé
à l'écouter. La vieille fille, après avoir débuté par s'étendre avec
plus d'enthousiasme que jamais sur le mérite et l'amabilité de
Mlle Bernier, lui expliqua que cette dernière avait reçu un ma-
gnifique piano, dont elle avait déjà joué comme un ange, et qu'elle
faisait demander a son voisin si la musique ne le gênerait pas le
soir quand il serait rentré de la fabrique. Lulleval chargea la
digne messagère de présenter ses remerciements à Mlle Bernier
et de répondre que le piano, loin de l'importuner, lui serait, au
contraire, fort agréable.
   Et il s'empressa de s'enfermer chez lui, espérant qu'on ne tar-
derait pas à profiter de la permission.
   Effectivement, après avoir plaqué quelques accords vagues et
parcouru rapidement le clavier, indécise encore sur ce qu'elle
jouerait, la jeune fille attaqua la marche du Prophète et rendit
d'une façon magistrale cette page, ce joyau deMeyerbeer, puis vint
l'ouverture de Guillaume Tell, et, pour finir, le cinquième acte de
Faust que Guy ne peut entendre^ sans tomber en extase.
   M"6 Bernier était une virtuose de premier ordre. Lulleval ne
savait ce qu'il devait admirer le plus, de son agilité éblouissante ou
du sentiment exquis avec lequel elle rendait les plus délicates
pensées des maîtres. Sous ses doigts le piano devenait le plus riche,
le plus complet des orchestres.
   A dater de là, Guy en rentrant chez lui n'eut plus qu'une pré-
occupation : MUe Bernier jouera-t-elle ce soir? Et si par hasard le
piano restait silencieux, le temps s'écoulait pour lui de la façon la
plus maussade. Hâtons-nous de dire que sa voisine lui infligeait
rarement cette pénitence et qu'elle paraissait avoir à jouer autant
de plaisir qu'il en éprouvait à l'entendre. Elle passait en revue les
meilleurs morceaux des plus grands compositeurs, les exécutant
toujours avec la même âme, la même verve, le même brio, et si
Lulleval se souvenait parfois d'avoir été abonné à l'Opéra, c'était
pour se dire qu'il n'y avait jamais passé de meilleurs moments.
Peut-être trouvez-vous cette appréciation un peu hyperbolique; je