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220                        LA REVUE LYONNAISE


                      PUBLICATIONS FÉLIBRÉENNES

      LES CONTES PROVENÇAUX DE ROUMANILLE, avec traduction en regard.
       Un vol. in-18 Charpentier de 400 pages.— Avignon. Roumanille.Prix, 3 fr. 50.

   Joseph Roumanille, le Père du félibrige, restaurateur de la poésie provençale,
en 1847, avec ses Margarideto, et fondateur de la prose méridionale, en 1848,
avec ses étincelants pamphlets, LiCapelan,li Partenaire, etc., revient aujour-
d'hui sur la-scène longtemps désertée avec un volume qui ne le cède en rien
aux Oubreto ; Les contes provençaux.
    C'est là un événement littéraire digne d'attention. Tandis que ses deux pre-
miers disciples s'élevaient sur les ailes de la Muse à des hauteurs de poésie que
lui-même n'espérait pas, il est resté, poète modeste, le prosateur incomparable
de la première heure, je dirai même sans hésiter, le prosateur du Félibrige.
    Saint-René Taillandier a laissé sur le poète des jugements définitifs. Du pro-
sateur tout reste encore à dire.
    On l'a vanté implicitement, bien des fois. « La prose de Roumanille, nous écri-
vait naguère l'illustre philologue autrichien M. Boehmer, de Vienne, vivra autant
que les vers de Mireille... » Mais nul encore n'a bien défini le caractère propre et
l'influence du Cascarelet de VArmana. Cette influence a plus marqué sur les
oeuvres de poésie que sur les œuvres de prose qui sont, hélas ! trop rares parmi les
rénovateurs provençaux. La prose félibréenne serait un champ fécond en inspira-
tions nouvelles si des défricheurs intelligents s'y mettaient avec l'ardeur, la con-
viction de Roumanille.
    —Remarquons ici combien la fortune littéraire de cette homme a été constante.
Aucun des détracteurs de la Cause, même des plus acharnés, tels que ce pédant
faussaire de Mary-Lafon, qui se croit obligé de saluer en lui « l'honneur litté-
raire d'Avignon », n'a résisté à l'entrain communicatif de ce bon conteur franc
d'allures, provençal en pleine Provence, comme Béranger était gaulois... à
Paris, et toujours égal à lui-même, c'est-à-dire toujours plein d'humour, tou-
jours original, toujours Roumanille, en un mot.
    Aussi humoriste qu'on peut l'être en pays de soleil, il s'est conquis par cette
qualité même la double sympathie des paysans et des lettrés. Le sel attique a
conservé chez lui cette saveur propre du terroir qui fait le cachet de son œuvre.
Et ce moralisateur du Comtat a fait Å“uvre d'art populaire, ce qui est le dernier
terme de la perfection. Nous prouverons ces assertions diverses le jour où nous
examinerons les poésies de Roumanille. Toutes ne portent point le sceau d'un
art définitif, comme certains de ses Noëls, par exemple ; la cause en est bien
simple. Le poète, chez lui, a une tendance à se laisser bercer par un mysticisme
tellement séraphique qu'il touche à la banalité. Le prototype de ce genre (nous
citons un chef d'œuvre) est cette suave inspiration, XAnge des Crèches, devant
laquelle Sainte-Beuve évoqua les ombres de Klopstock et d'Alfred de Vigny.
Mais c'est une réserve extrême qui en fait précisément la distinction. Quand il
combinera, donc, cette tendance de poésie avec son instinct naïf et « peuple » de
conteur, vous aurez, marquées au coin du grand art, des pages vraiment fortes
et originales, c'est-à-dire qui resteront. Je ne mentionnerai que ses admirables
Noëls et certaines pages subjectives ou l'homme s'est mis tout entier...