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DE LA RESPONSABILITE LITTERAIRE 133 L'opulence du jour n'a pas même fait penser à l'incertitude du lendemain. Le goût de la matière, du luxe, de la jouissance in- stantanée de la possession facile de l'or a entraîné les plus fri- voles, et même un grand nombre des plus réputés sages; aussi la conversation de tous les jours a traduit l'idée fixe de la multitude, les millions étant devenus monnaie courante, le roman etle jour- nal ont été chargés de lui donner cours dans la fiction comme dans la vie réelle. On a oublié que la fortune rapide crée le dégoût du travail sé- rieux, et que si les millionnaires improvisés, quand leur opulence est durable, étaient en majorité, les oisifs pourraient devenir les dominateurs du pays et les ignorants des notables. Or, la richesse seule ne donne pas la science, souvent même elle en détourne, et quand le luxe, le culte de la matière, delà jouissance ne sont plus seulementun fait matériel, comme autrefois dans les villes tombées en ruinepar le luxe et la volupté : Babylone, Tyr, Rome, lorsqu'au lieu d'être un accident, le matérialisme et le journalisme sont un système, une doctrine, une idée, plus encore un dogme, le progrès ne se cherche plus qu'à l'aide de la démonstration scientifique de- venue complice pour le légitimer sous le nom de progrès écono- mique. Et alors ce n'estplus la fortune privée qui est traitéecomme une mine d'or, mais la fortune publique d'un grand peuple ne pèse pas plus, malgré le chiffre de sa valeur, dans les mains des inten- dants de la nation, que le modeste budget d'une commune rurale. VIII La pente du sensualisme dans lequel on est tombé jusqu'à la cu- pidité est logique. Le sensualisme tend à faire l'homme animal, la cupidité tend à le faire matière ; l'or est l'instrument du plaisir et l'aliment du sensualisme. L'amour de l'or a revêtu un caractère d'universalité; ceci est un signe de la physionomie contemporaine. Le bruit de l'argent remplit et enivre les multitudes ; il déborde dans les discours, dans les livres, dans les conversations. En marchant ainsi à la conquête de la fortune, nous ne paraissons plus un peuple de lettrés, desavants, d'artistes et de guerriers, de travail-