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                      MOLIÈRE ET LE DUEL                            27
trer dans Molière. Faut-il le dire? Nous ne sommes qu'à demi satis-
fait des attaques que le poète a dirigées contre lui. Le culte excessif
du point d'honneur est un ridicule sur lequel nous eussions aimé
voir notre grand comique frapper à coups redoublés. Alui il appar-
tenait de disséquer ce sentiment tout factice, de montrer combien
illusoire en est le fondement, de dissiper les nuages dont l'amour-
propre se plaît à entourer ce funeste malentendu. Sa verve railleuse
aurait produit de plus durables effets que les édits de Louis XIV ; le
grand roi était à peine endormi dans sa tombe quela fureurdes duels
recommença, avec la Régence, plus violente que jamais.
    Non, il n'a point combattu suffisamment le préjugé qui nous
 occupe, il n'a point prêché, comme il eût dû le faire, le respect de
la vie humaine, le mépris de la force brutale, les saines notions de
la raison et de l'honneur véritable.
    Nous ne rechercherons pas témérairement quels secrets motifs
ont retenu sa verve, et nous ne nous engagerons pas dans le
 domaine sans limite des hypothèses. Nous nous contenterons de dé-
plorer cette lacune dans son œuvre.
    Telle est la puissance du génie que, s'il l'eût écrite, cette
comédie sur le duel qu'il n'a pas faite, la haute portée morale s'en
 ferait de nos jours encore utilement sentir.
    Nos mœurs démocratiques ont retenu de l'aristocratie,
qui n'est plus qu'un souvenir, les plus mauvaises de ses
institutions. Oserions-nous dire qu'elles en ont aussi fidèlement
conservé les meilleures et les plus excellentes habitudes ? Le duel
nous est resté. Il est rare, à vrai dire, qu'il amène quelque catas-
trophe : le plus souvent il se contente d'être une grotesque parodie
d'un usage qui jadis ne fut pas toujours sans grandeur. L'on com-
prend, l'on excuse même le gentilhomme qui, recevant un affront,
dans la chaleur du premier moment, tirait l'èpée qu'il portait au
côté et châtiait un insulteur téméraire. Mais que dire de nos mo-
dernes duellistes, députés quittant leur cabinet ou leur usine
(nous ne parlons pas de ceux qui sont sortis de plus bas), commis
de magasin, rentiers, homme de science, qui n'ont jamais tenu nn
fleuret ou déchargé un pistolet, et qui, par respect humain, par
une faiblesse indigne de leur caractère, vont s'exposer aux chances
d'une rencontre parfois périlleuse, presque toujours ridicule?