Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
[ Revenir aux résultats de la recherche ]
page suivante »
                  SOUVENIRS — 1 8 1 3 - 1 8 1 4 - 1 8 1 5           405
 retirâmes, la gibecière intellectuelle bien remplie de sujets de
 conversations et de discussions.
    Quelques notabilités françaises se trouvaient présentes à Dijon ;
 la plus saillante était M. Mathieu de Montmorency, que j'avais déjà
 rencontré aux bains d'Aix-en-Savoie. A l'expression âne et mélan-
 colique de sa tète, il ne manquait qu'une auréole pour figurer un
 saint François. Il était accompagné de M. de Sabran.
    Tous deux avaient déjà eu des rapports avec M. Jordan. Nous
improvisâmes ensemble un dîner que je tiens pour un des plus
 intéressants de ma vie.
    M. de Montmorency, assez confus des erreurs politiques de sa
jeunesse, se préparait à aller rejoindre le comte d'Artois à Nancy.
Il parlait avec attendrissement de sa bonté et de la joie qu'il aurait
de se mettre à ses pieds. M. Jordan, prévoyant les conséquences des
événements, exposait ses espérances, ses désirs, mais aussi ses
craintes :
    « Faites bien comprendre à Monsieur que le passé ne doit plus
rien être à ses yeux, qu'un mur d'airain l'en sépare, que le siècle
a de nouveaux besoins, que sa pensée soit la nécessité de la liberté
de la presse et de celle des cultes religieux. Plusieurs siècles d'idées
ont passé sur la France depuis qu'il l'a quittée. Sans doute de vieux
et nobles cœurs l'accueillent avec transport, mais ceux qui sont
jeunes ne le connaissent point. J'ose vous supplier, monsieur de
Montmorency, de vous rendre l'interprète de nos convictions ; je
fais plus, j'ose croire que sortant d'une âme toute française, toute
sincère, le prince les partagera. Sans ce dépouillement du vieil
homme politique, il est aisé de prévoir de grandes luttes. Que
M. le comte d'Artois ne nous rapporte donc que son bon cœur. »
    C'est sur ce ton que M. Jordan donnait cours à ses vœux. Il ne
se doutait pas que Louis XVIII, au sein des brouillards d'Angle-
terre, les avait à peu près réalisés, qu'il reviendrait, une Consti-
tution toute prête dans sa poche, distraire, par de nouvelles formes
gouvernementales, les Français de leur engoûment pour les fastes
militaires de l'Empire.
   Laissons au temps le soin de nous développer ces projets et pre-
nons le café avec mes aimables convives. Aussi bien est-il temps
d'aller au spectacle pour assister à une représentation du Déserteur.