page suivante »
386 LA R E V U E L Y O N N A I S E tendre et généreux. Mais va, grand cœur naïf et bon, poursuis la route com- mencée, poursuis ton œuvre de poète, toujours saine et toujours élevée, sans plus te soucier de la masse des suffrages ni des moyens qui pourraient te l'obtenir. L'histoire se chargera des restitutions : Mistral te 1' a prédit. Et ta gloire modeste comme toute grande chose, se sera forgée, pour jamais cette fois, dans une obscurité volontaire. Il avait dit, notre poète, dès qu'il avait parlé la langue des félibres : Tant ai de souvenènço De ta terro, ô Prouvènço Que ie tournarai Gomme au cèu de Jouvènço Comme au cèu de Jouvènço I bèu jour de mai. Et chaque année, quand le printemps s'annonce, le voilà qui croise les hiron- delles pour revoir la sainte Provence et le divin soleil. Alors, à toutes les fêtes du mois de mai, nous le trouvons dépouillant les brumes d'Irlande et l'animant les Provençaux eux-mêmes du renouveau de son enthousiasme. Il est partout ; on le voit à la fois à Gap et à Montpellier, à Nice et à Toulouse. Nous convien- drons alors que sa devise Me pause ounte flouris Je m'arrête ou fleurit (la pervenche) est en contradiction avec sa vie. Car ses poèmes, datés des quatre points cardi- naux, éclosent sous ses pas en floraison perpétuelle. Mais le pays de Maillane, d'Avignon et de Saint-Rémy est toujours cependant le foyer d'attraction. Ah ! la Provence ! elle s'impose comme une passion à quiconque s'aventure à l'aimer une fois. Et ne l'oublions pas, il y a du sang de Corse dans cet Irlandais. C'est lui qui, revenant du Portugal, où il représentait le félibrige au centenaire de Camoé'ns, et passant à Madrid, se fit ouvrir la Chambre des Cortès par Gastelar et Balaguer, pour escalader le siège du président et crier dans cette salle vide, devant ses amis stupéfaits : Vive la Provence ! Ah ! laProvence ! la « vraie Provence, celle du chêne vert et de l'olivier, des tam- bourins et des belles filles, nous apparaît comme une sorte de terre sacrée. Les enfants tout petits en rêvent, et quiconque y a passé un an ou deux, rapporte de là -bas les douces façons de parler qu'il gardera toute sa vie » (Paul Arène — Au bon soleil.) Et moi, bien souvent, quand je pense à notre William, j'entends chanter dans ma mémoire ces vers du grand aïeul, Bernard de Ventadour, éloigné, comme lui, de sa chère Provence : Quan la douss' aura venta De ves nostre païs M'es vejaîre qu'ièu senta Odor de paradis. Quand la douce brise souffle, — de vers notre pays, — il me semble que j'aspire — odeur de paradis. PAUL MARIÉTON.