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384 LA REVUE LYONNAISE et de voyages renouvelée des troubadours. Il rappelle en cela Lenau, le grand lyrique autrichien, que nous avons défini quelque part : le tzigane des poètes et le poète des tziganes, et de qui M. Wyse a hérité de la brillante imagination. Prenons, comme exemple, la seconde des pièces que nous publions aujourd'hui, le Mounge de Montmajour. La première Li Funeraio pour le dire en passant, est une des plus riches fantaisies au noir que nous ayons rencontrées : cette poésie large et brillante pour une vision fantastique est digne des grands maîtres. Notre ballade du moine de Montmajour n'est-elle pas, comme couleur, comme style et comme emportement du rythme, mille fois préférable aux romances gothiques dont on nous abreuvait en 1830? De ce côté-là , Bonaparte-Wyse est peut- être initiateur. Par moments, comme dans son Noël à Mw Coole, on croirait, à l'allure de la pièce, entendre un écho du fameux Pas d'armes du roi Jean, glorieuse exception à ces ballades romantiques dont il a évité les raideurs voulues en faisant les siennes plus humaines et plus ensoleillées. Abrégeons cependant en ajoutant qu'il est une série de pièces dans le volume des Piado qui tire son origine de ce culte tout esthétique pour les manifestations extérieures, que nous signalions au début chez M. Bonaparte-Wyse. On a beaucoup insisté sur l'usage de la coupe, établi, sinon importé en Provence par le vaillant Irlandais. C'est une occasion pour nous de rappeler la célèbre fête du 21 mai 1876, en Avignon, où s'est constitué définitivement le félibrige, et où furent consacrées différentes coutumes qu'on doit pour la plupart à Bonaparte- Wyse. Les sept félibres maîtres de l'Ecole du Florège 1 convoquèrent tous les lettrés parlant ou cultivant le provençal à une réunion générale où l'on fixerait les statuts de la grande Académie du Midi. Cinquante-quatre félibres répondirent à l'appel, et l'assemblée s'ouvrit solen- nellement sous la présidence de Mistral et deQuintana, représentant de Catalogne, à une heure de l'après-midi, dans l'ancienne salle gothique des Templiers d'Avignon. Elle était ornée de devises légendaires entre lesquelles resplendissait l'étoile à sept rayons, emblème mystique donné par Wyse au félibrige. Mistral prit la parole au nom de son pays pour saluer en ceux qui l'écoutaient les descendants des troubadours. Il lut et proposa « les statuts du félibrige », nomma cinquante majourau, dont vingt et un de « par delà les Pyrénées », et fit voter un consistoire. Puis la félibrée commença Le capoulié 2 , levant la coupe, cette célèbre coupe d'argent offerte par la Catalogne, lors des visites fraternelles de 1868, entonna a Cansoun de la Coujto. Et chacun y but à la ronde avant de prendre à son tour la parole, avec un toast ou un discours. Il était plus de minuit quand elle revint à Mistral. Le ciel étincelait à travers les vitraux des grands ogives, et, au milieu de .'a plus haute rosace, l'étoile du félibige resplendissait. ! Académie de fleurs ou première école des félibres établie en Avignon, qui tirait son nom de la dernière assemblée des troubadours au quatorzième siècle. î Caroube ou Chef du félibrige, titre donné à Mistral, dès la première assemblée.