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                    LA J A R R E T I È R E BLEUE                 269
 cette réunion présentait quelque chose d'intime et de cordial qui
 séduisait au premier abord. Il était aisé de voir que ces braves
 gens se connaissaient et s'estimaient depuis longtemps. Les mamans,
 à commencer par Mme Morin, avaient d'honnêtes robes montantes,
 aussi bonnes pour la journée que pour le soir, les fillettes étaient
 vouées à cette sainte mousseline dont M. Sardou a pJeuré la déca-
 dence dans la famille Benoîton. Elles s'amusaient de bon cœur
 et dansaient avec leurs frères ou les commis de leurs parents,
presque tous gros commerçants.
   L'appartement était digne des invités ; on pouvait dire qu'il
était fait pour eux, comme eux semblaient faits pour lui. Ainsi
que dans presque toutes les vieilles maisons la salle à manger
précédait le salon. Elle avait pour ornement principal un tableau
mécanique avec une horloge dans un clocher, ou train de chemin
de fer, ou ballon, que sais-je encore? L'horloge marchait, le train
franchissait un pont, le ballon disparaissait dans les nuages. Deux
lithographies représentant le chien du régiment et le cheval du
trompette accompagnaient cette œuvre d'art qui avait dû exciter
bien des jalousies chez quelques voisins peu fortunés. Le salon,
tendu de l'inévitable papier à ramages, était meublé de fauteuils
eh acajou style Louis-Philippe recouverts de damas grenat laine
et soie. Aux fenêtres pendaient de grands rideaux brochés cou-
ronnés de lambrequins de même étoffe que les fauteuils. Sur ]a
cheminée, protégée par un globe à la base entourée d'une chenille
rouge, était une pendule de bronze doré représentant Ganymède
enlevé dans le char de Jupiter.
   A côté du salon, se trouvait la chambre conjugale arrangée dans
le même goût que le reste. On devinait que rien n'y avait été
changé depuis le mariage des maitres de la maison. Les soirs de
réception elle servait de salle de jeu ; M. Morin y faisait avec de
vieux amis un whist à cinq centimes la fiche.
   Je jetai aussi un coup d'œil dans le petit salon de travail de ces
demoiselles ; cette pièce, tout en étant fort simple, avait cependant
un certain je ne sais quoi qui la distinguait des autres. Des fleurs
coquettement disposées çà et là l'égayaient, les meubles n'y étaient
point rangés avec la même symétrie froide et maladroite ; quelques
 objets de fantaisie placés de façon à en tirer le meilleur parti