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420                  LA R E V U E LYONNAISE
je trouve dan s mon coeur et ma foi des raisons pour vous pardon-
ner le mal irréparable dont je suis la victime innocente. S'il n'y
 avait que moi pour porter le deuil de mon mari bien-aimé! mais je
 vous écris à côté de mafille.Tout me prouve, hélas! qu'elle va perdre
 sa mère, et, quand vous recevrez cette lettre, il est probable que je
 n'existerai plus. Une faillite m'a enlevé le peu de fortune que
j'avais... Bientôt ma fille sera seule au monde. Ne devez vous pas
.quelque réparation à l'orpheline? Consultez votre conscience là-
 dessus. Je m'en rapporte à elle. — Caroline Saint-Gérand. »

   Ecrit de suite au major Bédel qui vient de répondre par le re-
tour du courrier. Oui, « Mme Caroline » est morte,mortede chagrin,
plus que de toute autre maladie, et ne laissant à sa fille aucune res-
source... Les camarades du régiment se sont conduits en gens de
cœur, et pour le moment la petite Jeanne est placée dans un asile
 sûr, mais l'avenir!.. « Inutile, ajoute le major, de demander au mi-
 nistre une pension, car les filles d'officiers tués en duel n'y ont
 aucun droit. Je n'ai rien au monde que ma solde, dit-il encore, et
 ma vieille sœur Eugénie a besoin de moi... »

   Pas d'hésitation possible. C'est au capitaine Valette à prendre
soin de Jeanne Saint-Gérand. Mais quelle situation, juste ciel !
Déjà j'ai dû renoncer à mon protectorat de la petite Arabe, et aban-
donner cette enfant à la charité des sœurs de la Providence, à
Mostaganem... Mes yeux deviennent de plus en plus malades, et le
docteur n'ose plus me dire d'être gai... Avec mon traitement de
légionnaire, une petite pension qu'on ne refusera peut-être pas à
l'officier infirme, quoiqu'il n'ait pas le temps de service déterminé
par les règlements, j'aurai bien juste de quoi vivre; et comment
faire pour Jeanne ? pour la fille dont j'ai tué le père... et la mère
par contre-coup !

  Dansundemes derniers voyages à Paris, j'avais vu aux Champs-
Elysées un aveugle avec son chien... Les promeneurs s'arrêtaient
vers lui, les sous pleuvaient dans sa sébile. Les aveugles ont donc
une profession, lorsqu'ils le veulent, me suis-je dit ; et mainte-
nant, cette réflexion me revient. Ramasser des sous pour Jeanne