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 128                   LA RRVUE LYONNAISE
  l'oracle, et nous nous associons aux imprécations qu'Œdipe lance
  contre le meurtrier de Laïus. Notre intérêt grandit, notre stupeur
  commence en écoutant Tirésias, et nous admirons comment Jocaste,
  en voulant rassurer son époux, met le comble à l'effroi d'Œdipe.
  Le point noir auquel on a fait si souvent allusion à ce propos et
  très justement, le point noir d'abord presque imperceptible, appro-
  che, grossit et devient nuage. Dès lors le spectateur ne s'appartient
 plus, il est emporté par l'émotion, il suit, haletant, les événements
 qui se précipitent. Œdipe pousse presque un cri de joie à la nou-
 velle de la mort du roi de Gorinthe, il ne tuera donc pas son père !
 mais immédiatement ses inquiétudes renaissent plus poignantes que
 jamais, quand il apprend qu'il n'est pas le fils de Polybe. Il inter-
  roge alors le messager sur ce qu'il sait de lui, et nous voyons peu
 à peu la vérité se dégager de ses voiles. Jocaste écoute en silence :
 le trouble, l'horreur paraissent sur son visage. Elle supplie Å’dipe
 de ne point aller plus loin ; mais l'infortuné, obéissant à une force
 mystérieuse, veut tout approfondir       Et la reine s'éloigne, se traî-
 nant avec peine, balbutiant : « Malheureux, c'est la seule parole que
je puisse t'adresser,et je ne t'en adresserai plus d'autre à l'avenir».
     Voltaire n'a pas su s'approprier cette scène merveilleuse. Chez
  lui, Jocaste apprend tout de la bouche d'Œdipe, déjà instruit par
 les révélations du messager de Gorinthe et du vieux serviteur de
 Laïus. Que la marche adoptée par Sophocle est plus heureuse ! Nous
 suivons sur la physionomie de Jocaste les angoisses qui l'étrei-
gnent, mais elle disparaît lorsqu'Œdipe ne connaît pas encore le
plus grand de ses crimes. Ge moyen plus puissant pour l'effet dra-
matique est en même temps plus conforme aux bienséances. Du
moment où Œdipe sait que Jocaste est sa mère, ils ne se rencon-
trent plus sur la scène. On ne saurait en effet trop admirer l'art
exquis avec lequel Sophocle a traité un sujet si épineux. Il a su
tout dire en restant pur et chaste, en laissant à Jocaste sa dignité
et sa pudeur^ intacte. Corneille a eu le bon esprit de l'imiter en
cela. On ne peut, hélas ! en dire autant des auteurs de toutes les
tragédies d'Œdipe.
    Après l'horreur, le poète veut nous faire éprouver la pitié. Tout
en conservant quelque chose de la fatalité qui domine dans le
théâtre d'Eschyle, celui de Sophocle est plus humain. Gomme le