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112                      LA REVUE          LYONNAISE




   Si la loi de 1841 n'obligeait pas le propriétaire, entamé ou non,
au payement effectif d'une plus-value, elle admettait cependant,
contre le propriétaire entamé, la compensation de la plus-value
acquise par le délaissé, en échange d'une partie de la parcelle
expropriée (art. 51). Cette faculté, si légitime, profita dans une
certaine mesure aux expropriants, et donna lieu à une histoire
comique, devenue légendaire à Lyon.
   Une maison, sise sur la rue Mercière, vit « ses cours et ma-
sures » * entamées par l'expropriation. Le, ou plutôt la proprié-
taire demanda 120 000 francs d'indemnité2. Il était difficile de
s'entendre. On va devant le jury, qui, prenant en considération que
l'immeuble gagnait à l'expropriation de se trouver assis sur deux
rues, dont la nouvelle beaucoup plus belle que l'ancienne, réduisit
la demande à cinq francs.
   Le propriétaire en conserva toute sa vie une rancune à la Corse
contre les auteurs de l'entreprise, et peut-être encore plus contre le
maire, son promoteur. La légende prétendait qu'en signe de déri-
sion amère, l'écu alloué avait été cloué à L'intérieur de la porte
d'allée, et tout Lyon le crut. Mais les légendes poétisent tout. La
vérité vraie est que je l'ai vu, l'écu, précieusement enfoui dans un
cartonavec les pièces du procès, et destiné à passer à la postérité en
compagnie des inscriptions les plus vengeresses que puisse inventer
la fertile imagination féminine.
   La vengeance ne s'arrêta pas la, le ciel, dans son courroux, ayant
voulu que le propriétaire et le maire se trouvassent voisins de cam-
pagne. Alors s'engagea une lutte titanesque, marquée d'intermina-
bles procès que n'éteignit même point la mort de l'ancien maire. De
cette lutte un monument subsiste, qui bravera le cours des âges.
C'est une tour, haute comme celle de Mme Malbrouck, et qui ne sert
à rien, qu'à y monter pour plonger la vue chez le voisin.

  i J'emprunte l'expression à un chroniqueur qui a raconté l'histoire, d'ailleurs
connue de tout Lyon.
  2
     J'emprunte également ce chiffre au même récit, ma mémoire n'ayant pas gardé
un souvenir assez rigoureux des faits. Mais il doit être exact. Le chroniqueur, qui
était Mayery, était consciencieux.