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                   LE MARIAGE DE SÉVERINE                            17
manières de voir qui se transformeront avec le temps en convic-
tions solides, faisant en quelque sorte partie intégrante du patri-
moine. Maurice, sous ce rapport, avait été son seul maître; le b e -
soin d'apprendre et de réfléchir s'était développé en lui sans qu'il
trouvât à son côté personne à qui demander ces leçons qu'un père
vraiment digue de ce nom est seul capable de donner. Aussi, avec
cette logique rigoureuse de la jeunesse qui ne transige point et
pousse volontiers la déduction jusqu'à l'extrême, il s'était fait un
certain nombre d'idées fermes et invariables auxquelles, justes ou
fausses, il tenait d'autant plus qu'il les avait adoptées sans influence
étrangère, comme après mûr examen.
   Il n'avait pas été heureux au collège; son isolement, rendu plus
cruel par la comparaison avec ses camaz^ades, tous entourés et
choyés des leurs, ne tarda pas à donner à son esprit une teinte de
misanthropie qui lui faisait de prime-abord envisager les choses du
mauvais côté, et lui inspira du penchant pour l'opposition, quelle
qu'elle fût. Avec l'âge, cette disposition se fortifia en lui. Tout en
nourrissant un profond respect, une sincère affection pour son
père, il haïssait ses idées, ses goûts, son genre de vie qu'il n'hési-
tait pas à rendre responsables de l'abandon dans lequel il avait tou-
jours vécu.
   L'indifférence avec laquelle le traitait le général depuis son en-
trée dans la maison paternelle n'était pas faite, il faut en convenir,
pour l'amener à d'autres sentiments. Le père et le fils n'avaient
guère chance de se rencontrer qu'à l'heure des repas, à moins
cependant que le comte ne dinât à son cercle ou en ville, ce qui lu • '
arrivait souvent sept fois par semaine. Aie voir toujours au pre-
mier rang dans les endroits où se pavane l'oisiveté élégante, à ne
l'entendre parler que de chevaux, de coulisses de petits théâtres,
départies fines, tandis que son fils restait à lire ou à étudier, on
eût trouvé les rôles singulièrement intervertis.
    La seule distraction de Maurice était de fréquenter un petit
cercle d'amis appartenant pour la plupart à des familles peu favori-
sées delà fortune, et dont chacun cherchait à se faire jour par ses
propres forces. L'un travaillait chez un peintre, l'autre chez un
sculpteur, un troisième ne rêvait que théâtre et composait un drame
qui devait, disait-il, être couvert d'or par les directeurs, passionner
     JUILLET 1881. — T. I I .                                 2