page suivante »
— 377 —
pays. A l'extérieur du pavillon des bains est creusé un très grand bassin
alimenté par six tuyaux terminés par des têtes de lions aux yeux étince-
lants de fureur et à la crinière hérissée. Le bruit de ces cascades oblige
les visiteurs à se parler à l'oreille d'une façon aussi mystérieuse que risible.
Plus loin, on nous indique d'un mot l'appartement des femmes, puis le
garde-manger et la pièce où l'on fait la toile.
Devant la villa, au levant, s'étend un portique dominant le lac, puis,
par une longue galerie fermée on arrive dans une salle d'une admirable
fraîcheur. « La troupe babillarde des clients et des nourrices, lisons-nous,
se hâte, lorsque les miens et moi nous avons gagné la chambre à coucher,
de venir s'y reposer sur des sièges placés exprès ».
Notre visite se poursuit à travers un appartement réservé pour l'hi-
ver, une petite salle à manger meublée d'un lit pour se mettre à table et
d'un très beau buffet. Au-dessus se trouve une terrasse où se prennent les
repas et d'où l'on découvre une vue délicieuse sur le lac, sillonné de barques
de pêche. L'eau apportée de la fontaine voisine est tellement glacée qu'elle
obscurcit l'éclat des verres et forme des taches de neige dans les vases.
Nous entrons ensuite dans deux appartements très agréables l'été,
car le soleil ne peut y pénétrer. Le plus petit est occupé par les valets
« toujours assoupis ». Les seuls bruits qui parviennent en cet endroit sont
le gazouillement des oiseaux, les sons rustiques de la flûte à sept trous et
les sonnettes des troupeaux.
Tout ce passage de la lettre, trop long pour figurer dans cette courte
notice, est d'une poésie classique pleine d'imagination, bien digne d'un
auteur capable, comme nous le savons, de préparer l'improvisation d'un
poème, au milieu d'un repas, en se retournant un instant, comme pour
donner un ordre à un serviteur. Cette facilité extrême, particulière au
talent de Sidoine Apollinaire, devait l'entraîner à émailler de descriptions
pleines de souvenirs littéraires les lettres qu'il adressait à ses amis. Je
n'entreprendrai pas ici de discuter s'il a vraiment abusé de ce don naturel,
je voudrais seulement pénétrer dans la demeure de cet homme illustre et
apprécier le raffinement de la civilisation gallo-romaine, si différente de la
rudesse presque barbare du Moyen Age. A l'étendue de cette villa et au
nombre important de serviteurs dont on devine la présence, nous pou-