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- 6 5 - ble, au génie éminemment sociable », au mysticisme touchant? Elle est divisée, elle aussi, et sous les « souvenirs d'union », Michelet découvre « la lutte réelle »3. Lui-même est alors en plein combat. 1843, c ' e s t l'année où il rompt définitivement avec le catholicisme, où il achève l'Histoire du moyen âge pour courir à la Révolution, où il abandonne ses leçons des Tuileries. Dès le début des grandes vacances, il part, avec son fils Charles cette fois (car sa fille Adèle venait de se marier), pour un voyage d'études en Suisse. Dans son ouvrage posthume sur Michelet, Gabriel Monod écrit ceci : « Il semble que Michelet ait songé à lancer avec les protestants de Genève un journal populaire qui ferait la guerre aux Jésuites et s'opposerait aux trente mille exemplaires du Journal de la Propagation de la Foi » x . Je crois bien, sans pouvoir le prouver par un texte explicite, qu'en s'arrêtant à Lyon, le pre- mier jour de son voyage, Michelet voulait également secouer le libéralisme lyonnais, l'aiguillonner, l'éperonner à un moment où il semblait faiblir dans la riposte, le rejeter aprement dans la lutte. Peut-être espérait-il pousser ses amis à fonder un journal, une ligue ? A lire attentivement les notes informes qu'il écrivit pendant son voyage, on a l'impression qu'il attend quelque chose de ses amis, de Victor de Laprade, du docteur Pierre Lortet, de Bredin, de Jean Macé. On sent qu'il est tantôt soulevé, tendu par l'effort et l'espoir, tantôt découragé et assombri. L'ancien mysticisme lyonnais se transforme à ses yeux en une avide volonté de puissance, en une énergique cupidité ; il s'en détourne, et ses amis, en lui racontant des anecdotes sur — ou plutôt contre — le clergé, ne font que le confirmer dans son aversion grandissante. Ils lui montrent les couvents accaparant les dots et les héritages, l'ordre des Blandines mettant la main sur les servantes et les. interrogeant sur leurs maîtres. Victor de Laprade prétend même que le clergé, pour recruter plus de religieuses, « éloigne les filles du mariage ». Son père, homme d'expérience et d'esprit, 1. « Oui, malgré l'effort méritoire des beaux fleuves qui viennent y mêler leurs flots et leurs populations, malgré le génie pacifique de cette noble reine, la Saône, malgré la peine que se donne, après cent détours, le Rhône, pour atteindre ce mariage qui fait sa grandeur et son nom, la nature, front à front, y pose les deux révélateurs de la guerre intérieure de Lyon, deux rocs, la Croix-Rousse et Fourvières >. (Le Banquet, < P- 158). 3. La vie et la pensée de Jules Michelet (1798-1852), Champion, 1923, vol. II, p. 159. Rev. Lyonn., IV, I 5