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 dit sa femme dans Cinquante ans d'amitié, qu'il n'avait pour bureau qu'une
 table de bois blanc recouverte de toile cirée. Mais il avait réussi à « réveiller »
 Lyon. Quelques semaines après son arrivée, il avait quinze cents auditeurs
 à son cours. Autour de lui se pressaient des admirateurs enthousiastes
 comme Victor de Laprade, Saint-René Taillandier, Isidore Geoffroy Saint-
 Hilaire, Blanc Saint-Bonnet. Et grâce à lui, Michelet entra en relations
avec eux, avec les professeurs du Collège et de la Faculté des lettres, avec
les notabilités littéraires de la ville, avec quelques personnalités remarqua-
 bles du monde industriel et politique.
      Pourtant Edgar Quinet ne se plaisait pas à Lyon. Il s'y considérait
 comme en exil et cherchait à obtenir une chaire à Paris. Dans sa leçon
 d'ouverture à la Faculté, il s'était bien écrié — soulignant une opposition
 dont s'emparera Michelet — : « Deux principes habitent dans ces murailles,
 d'une part l'esprit industrieux du Midi, de l'autre la spiritualité du Nord ».
 Mais le principe matériel semblait l'emporter sur l'autre : il ne trouvait pas
assez d'écho pour sa pensée ardente, et « la spiritualité du Nord », c'était
pour lui Paris avec sa fièvre d'idées et ses joutes intellectuelles.
      On trouve, dans la Revue du Lyonnais de 1836, une description sévère
du Lyon de cette époque, extraite d'un ouvrage du savant littérateur et
historiographe Jal. « Une pensée constante qui domine toutes les autres :
gagner de l'argent, faire des affaires ; les tracasseries de la petite ville ; les
haines politiques vivaces ; aucun sentiment délicat de l'art — car Lyon a un
musée comme les fermiers généraux avaient des galeries, par luxe et non par
amour éclairé de la peinture... Ce n'est pas qu'à Lyon il n'y ait beaucoup
d'esprits distingués dans toutes les branches libérales des facultés humai-
nes ; mais ils y sont égarés, exilés, ils souffrent, ils aspirent à la vie intellec-
tuelle et artistique dont le mouvement est si rapide et fécond à Paris ; ils
périssent d'ennui »1. Quinet était ou plutôt se croyait un de ceux-là. Il ne se
rendait pas compte de la transformation de l'esprit public, transformation à
laquelle il avait fortement contribué lui-même. Aux environs de 1840, cette
ville qu'on eût pu croire engourdie dans un catholicisme intransigeant et

      1. Revue du Lyonnais, 1836, tome III, p. a i . Lyon en 1835, par notre compatriote M. Jal (extrait de son
 ouvrage De Paris à Naples). La Revue du Lyonnais reproduit cette description en faisant les réserves que
l'on imagine.