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— 53 — La route m'a paru bien sérieuse. Les pays vignobles qu'on admire par tradition, offrent généralement des paysages nus et sans grandeur. Lorsque la vigne n'a pas encore de feuilles, on ne voit à perte de vue que des échalas d'un gris mort. Souvent les sommets des coteaux, autrefois couverts de bois, aujourd'hui dépouillés même de terre végétale, montrent des roches grisâtres. Cependant, quelle que soit cette tristesse, il vaut mieux peut-être voir ce pays nu, comme il est en mars, que lorsqu'il est voilé et paré de feuilles. Les horizons sont plus étendus. Aucun détail n'échappe. Rien n'empêche d'observer le travail et le travailleur. On le voit partout courbé sur la vigne rampante, ramenant la terre à l'entour, rapportant les échalas et les repi- quant. Grand travail, profit incertain. Rien n'est plus chanceux que cette culture. Et pourtant elle va toujours, gagnant et s'étendant. Les cinq ou dix millions de Français qui sont nés de la Révolution, les quelque cent mille propriétaires qu'elle a faits, tout cela s'est mis à boire du vin. La culture de la vigne s'étendant a augmenté la population à son tour. Elle occupe la famille entière, homme, femme, enfants. Tel vignoble de Champagne qui occupe cinq cents personnes, serait cultivé par trois ou quatre, s'il était semé en blé et travaillé à la manière de la Beauce. Cette population croissante est au reste assez misérable. Malgré les quelques améliorations, c'est encore le pauvre vigneron d'autrefois faisant le vin et buvant la piquette, le résidu de la vendange ; le paysan de la Bour- gogne s'est révolté plus d'une fois depuis le temps des bagaudes jusqu'au xvn e siècle où dans une insurrection il se fit un roi (le roi Mâchas) contre Louis XIV 1 . Entre les vignes de Vermanton et les vignes du Châlonnais s'étendent les rochers du Morvan et les chênes du pays d'Autun. Je ne crois pas qu'au- cune ville de France se soit mieux conservée que celle-ci. Il y a une bonne moitié des maisons qui remontent à François I e r , plusieurs sont plus an- ciennes. La cathédrale, du roman le plus imposant et le plus austère, fut, i. Les Bagaudes sont ces vagabonds originaires de Gaule qui, dans le cours du in e siècle, formèrent des bandes et portèrent leurs rapines jusqu'en Espagne. Ils ne se rattachent pas spécialement à la région bourguignonne. Conduits par deux chefs, Aelianus et Amandus, ils avaient fini par terroriser le pays, quand Maximien les accula dans la presqu'île de la Marne où se trouve Saint-Maur-les-Fossés (Fossa Bagaudorum) et les massacra en 285. — Quant à Mâchas, son histoire a été racontée par M. Cunisset-Carnot (l'Emeute des Lanturlus à Dijon en 1630, in-8°, Dijon, 1897). En 1630, le bruit courait à Dijon que le roi (Louis XIII, et non Louis XIV, comme lé veut Michelet) allait établir les aides en Bourgogne. Les vignerons des faubourgs et des villages environnants qui étaient les plus menacés par l'édit, se rassemblèrent dans la ville, le 28 février 1630, élurent comme chef (non comme roi) un certain Mâchas, goujat de son métier, et, armés de bâtons et de hallebardes, coururent les rues, précédés d'un tambour qui jouait un air du temps appelé Lanturlu (d'où le nom donné à la sédition). Ils traînaient, chemin faisant, un portrait du roi et criaient : « Vive l'Empereur ». On tira sur eux, et seize d'entre eux furent tués ; les autres se dispersèrent. (Renseignements communiqués par M. Kleinclausz).