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sont point femmelettes, car cette si grande tendreté brouille le cœur, l'inquiète et le
distrait de l'oraisùn amoureuse envers Dieu, ce qui empêche l'entière résignation et la
parfaite mort de l'amour-propre. Je suis le plus affectif du monde et il m'est avis que
je n'aime rien du tout que Dieu et toutes les âmes pour Dieu ». Beau texte qui semble
d'abord contenir un paradoxe. Mais les grandes âmes infiniment attirantes et sédui-
santes savent garder dans leurs affections une liberté parfaite qui prend sa source dans
un détachement total du créé et dans un abandon absolu à Dieu. « Il ne dépendait, dit
sainte Chantai, ni de mort, ni de vie ni de parents ni d'amis. Son esprit régentait
au-dessus de tout cela. Voilà qu'elle était la magnanimité de notre Bienheureux ».
A elle, il semble que cette magnanimité fut plus douloureuse à acquérir et cepen-
dant c'est sur ce même calvaire solitaire, où la croix elle-même est entourée de brumes
que l'évêque voulait la fixer à jamais. Au cours de la retraite qu'elle fit en 1616, il
semble que le sacrifice fut accompli, témoin cette lettre que le saint lui envoya alors et
qui semble être un billet d'adieu : « Notre Seigneur vous aime, ma Mère, il vous veut
toute sienne, n'ayez d'autre bras pour vous porter que le sien, ni d'autre sein pour
vous reposer que le sien et la Providence. N'étendez votre vue ailleurs et n'arrêtez
votre esprit qu'en lui seul. Tenez votre volonté si simplement unie à la sienne que rien
ne soit entre deux. Ne pensez plus ni à l'amitié ni à l'unité que Dieu a faite entre nous,
ni à vos enfants, ni à votre cœur, ni à votre âme, enfin à chose quelconque, car vous
avez tout remis à Dieu ». Désormais les lettres de direction personnelle seront rares et
le temps libre sera consacré aux entretiens relatifs à l'ordre naissant.
Voici maintenant le texte même de la Mère de Changy dont nous pourrons mieux
comprendre l'austère beauté.
Madame de Chantai « arriva à Lyon, comme son obéissance portait, sur la fin du
mois d'octobre et y trouva notre Bienheureux Père qui ne faisait que passer, allant
accompagner Monseigneur le Cardinal de Savoie à Avignon, si bien qu'ils n'eurent
point le loisir de se parler. Ce Bienheureux lui commanda d'aller visiter nos maisons
de Monfterrand et de Saint-Etienne, ce qu'elle fit et prit temps là pour faire ses
renouvellements et exercices annuels de retraite.
« Sur le commencement de décembre, elle se rendit à Lyon, où notre Bienheu-
reux était déjà arrivé, le roi et les deux reines y étaient et le cardinal de Savoie. Si
grand nombre de princes et de princesses, de grands seigneurs et de grandes dames
avaient recours à notre Bienheureux Père comme à un oracle, que ce saint homme
n'avait pas un quart d'heure à lui pour parler à souhait à notre très digne Mère,
laquelle avait une envie incroyable de revoir toute son âme entre les mains de son
digne conducteur y ayant près de trois ans et demi qu'ils ne s'étaient vus et qu'elle ne
lui avait conféré de son intérieur ; elle avait aussi plusieurs choses à lui consulter sur
l'observance, les cérémonies et le bien de l'Institut dont elle avait fait des amples
mémoires tant à Paris qu'à Dijon.
« Un jour, ce Bienheureux s'étant dégagé de la presse de ses autres affaires, vint
au parloir trouver notre Bienheureuse Mère et lui dit : « Ma Mère, nous aurons quel-
ques heures libres ; qui commencera de nous deux à dire ce qu'il a à dire ;*» Notre