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pathétique. On y houspille de la belle manière et non sans quelque appa-
rence de raison, bien souvent, les maîtres, si âpres au gain « qu'ils aiment
plus cher de voir la ruine des compagnons et de l'imprimerie en France,
pour l'avancer en pays étrangers, que d'y voir fleurir les lettres, études et
imprimerie, et en s'enrichissant faire gagner par un si grand travail la vie
aux pauures compagnons et à leur famille ».
     Si les chiffres donnés par les compagnons sont vrais — et pourquoi ne
le seraient-ils pas ? —, l'âpreté et la tyrannie des patrons dépassait vraiment
toute mesure : 3.350 feuilles par jour !

      Il n'est pas très aisé de se rendre compte de ce que représentait cette
tâche, qui paraît gigantesque, les conditions de travail du xvie siècle étaient
si différentes des nôtres ! Alors, en effet, que la fonction du typographe et
ses moyens de production sont restés jusqu'à nos jours absolument les
mêmes, ceux de l'imprimeur ont changé du tout au tout. Le « rendement »,
pour employer ce terme plus expressif qu'harmonieux de la littérature
industrielle — le rendement devait être singulièrement faible des machines
primitives qu'étaient les presses à bras ; les tirages étaient extrêmement
lents. Il est malaisé de faire, aujourd'hui, une comparaison utile ; bien peu
d'imprimeries se servent encore, pour leurs éditions, de la presse à bras ;
quand elles le font, c'est pour des tirages de grand luxe ; elles y apportent
des soins particuliers, tant de soins qu'un parallèle entre leur rendement et
celui que dénoncent les plaintes de compagnons serait illusoire. En tout cas,
200 feuilles par heure est un maximum qu'il me semble difficile d'atteindre;
or, 200 feuilles à l'heure, cela représente, pour chaque jour, dix-sept heures
que les pressiers étaient contraints de passer autour de leurs machines.
     « Debout despuis deux heures après minuit », disent plus haut les
ouvriers,.et nous ne les croyons pas, du moins nous pensons qu'ils exagè-
rent ; voici la preuve qu'ils ne mentaient point, la preuve aussi que les
plaintes, les menaces, les ordonnances et les lettres royaux furent inutiles.
Plus de dix ans après 1571, le 26 juillet 1583, par devant Pourcent, notaire,
Claude Cordier, compagnon imprimeur, vient déclarer que « ung jour de
   IHPR. A LYON                                                          5