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les tenir trop à l'écart de ses démarches, elle eût été beaucoup plus vite
tirée de son ignorance ; l'abbé Guillon et Chateaubriand, grâce à leurs
relations dans les milieux aristocratiques, au parfait accueil dont les hono-
raient quelques diplomates étrangers, avaient été initiés aux trames les plus
secrètes de l'affaire ; ils en connaissaient les dessous et les fondrières
beaucoup mieux que les enquêteurs salariés à cet effet ; spontanément, ils
auraient crié casse-cou. Mais leur supérieur s'était engagé vis-à -vis de
lui-même à un silence inviolable et, cédant à des préventions de plus en
plus insurmontables, il acheva de se brouiller avec ses deux auxiliaires,
dont il se plaignait déjà amèrement ; il ne leur pardonna pas quelques
lestes propos ou quelques sourires dont l'allusion aux débats en cours et
aux bruits de ville n'était pas assez voilée. Le secrétaire d'Etat, de son
côté, eut été beaucoup plus utile encore à confesser que des subordonnés.
Pourquoi ne vida-t-on pas son sac? Sa plume protocolaire ne trahissait
aucune de ses pensées de derrière la tête, comme on dit. N'a-t-il pas avoué
plus tard, sans rougir d'une diplomatie où la politique et l'intérêt général
avaient pris le pas sur une candide franchise hors de propos, qu'il chercha
les moyens à sa portée pour éviter au Saint-Siège les déboires qu'il pré-
voyait, si la requête de la République française était agréée.
Il raconte, dans une page délicieuse de sincérité, ses visites au repré-
sentant de l'empereur Alexandre I er , le comte Cassini ; il désirait qu'il
intéressât Vernègues à sa propre sauvegarde, qu'il lui persuadât de se
prêter à une arrestation publique, l'assurant en retour, par un engagement
formel, que, de sa maison au cachot, on lui faciliterait une évasion commode
avec tous les moyens de gagner, en toute sécurité, la plus prochaine fron-
tière. La consigne serait établie en conséquence et l'opération ne souffrirait
d'aucun obstacle, ni d'aucun hasard; tout serait prévu et arrangé. Même
lorsqu'il fut sous mandat d'arrêt pour crime capital, aucun raisonnement
n'amena l'officier émigré à se. prêter à cette combinaison ; son amour-
propre se blessa, il protesta et cria très haut que son honneur et son passé
lui interdisaient de céder et de recourir à cette espèce de désertion qu'on
lui conseillait ; rien ne l'arracha à son fol entêtement. Consalvi ne s'en
plaignit à personne ; mais il ne semble pas contestable qu'à partir de ce
refus, l'homme fut condamné dans sa pensée et qu'il se résolût à supporter